Quand
on parle de lumière et de son, il vient immédiatement à
l’esprit la question de notre perception visuelle et sonore du monde
qui nous entoure. Si l’oeil et l’oreille ont une sensibilité
extraordinaires, ils présentent toutefois des différences
importantes quant à leur aptitude à discriminer les fréquences
et localiser dans l’espace les sources lumineuses ou sonores. Mais
notre perception du monde ne se limite évidemment pas à
la vue et à l’ouïe : elle est multisensorielle, et il
est prouvé que nos différents sens interagissent fortement
et travaillent en coopération. Le cerveau ne possède pas
de centre (même primaire) qui ne soit pas multisensoriel. D’ailleurs,
la mémorisation des informations est beaucoup plus efficace quand
sons et images sont associés, et l’association image-musique
décuple le pouvoir émotionnel d’une image. Le visuel
influe sur l’ouïe et réciproquement.
Quelle est la nature de la lumière ? Et celle du son ? Quelles
sont leurs analogies et leurs différences? Si la nature vibratoire
du son fut comprise dès l’Antiquité, il fallut attendre
la fin du XVIIe siècle pour que soit évoquée par
Huygens un caractère semblable de la lumière. Mais cette
idée était loin de faire l’unanimité : le grand
Newton en particulier s’y opposait. Au XIXe siècle, les travaux
d’Young, Fresnel et Maxwell prouvèrent définitivement
la nature ondulatoire de la lumière ; plus précisément,
la lumière est une petite partie de l’ensemble des ondes
électromagnétiques. L’idée très ancrée
de la nécessité d’un milieu porteur pour la propagation
des ondes fit postuler l’existence d’un milieu invisible :
l’éther. Quelle satisfaction alors de pouvoir unifier lumière
et son en tant que phénomènes vibratoires se propageant
par ondes dans un milieu porteur ! Voilà un bel exemple de tentative
d’unification qui s’est révélée fausse
: l’éther n’existe pas car la propagation de la lumière
n’exige pas un milieu porteur, ainsi que le montra Einstein en 1905.
Ainsi la lumière se propage-t-elle dans le vide, contrairement
au son. La lumière franchie en effet l’espace interstellaire
puisque nous voyons les étoiles, alors qu’aucun son ne nous
parvient de l’espace. En outre, la vitesse de propagation de la
lumière est considérablement plus élevée que
celle du son (environ un million de fois plus grande dans l’air),
comme en témoigne par exemple le décalage temporel, observé
lors d’un orage, entre la perception d’un éclair et
celle du grondement du tonnerre. Autre différence importante :
les longueurs d’onde des ondes lumineuses sont beaucoup plus courtes
que celles des ondes sonores (Fig. 1).
Figure 1. Longueurs d’onde et fréquences des ondes électromagnétiques
et des ondes acoustiques.
Néanmoins,
le caractère ondulatoire commun de la lumière et du son
se manifeste de façon analogue dans les phénomènes
classiques de réflexion, de réfraction, de diffraction et
d’interférences. C’est pourquoi la lumière et
le son – et d’une façon plus générale,
les ondes électromagnétiques et les ondes acoustiques –
sont à la base de nombreux outils mis en œuvre selon des principes
analogues, mais avec des spécificités résultant des
différences évoquées ci-dessus. En voici quelques
exemples :
• le sonar employant des ondes ultrasonores pour la détection
sous-marine trouve son équivalent dans le domaine des ondes électromagnétiques
avec le radar bien connu (micro-ondes) et le lidar (lumière), utilisé
en particulier pour détecter et analyser la pollution atmosphérique.
• l’échographie ultrasonore est courante, notamment
pour la surveillance des fœtus, et l’échographie optique,
développée plus récemment, offre une résolution
spatiale bien supérieure, ce qui en fait un outil précieux
pour visualiser des maladies de la rétine (Fig. 2).
• l’effet Doppler est mis à profit dans l’échographie
ultrasonore pour visualiser la circulation sanguine. De la même
façon, cet effet est exploité avec la lumière en
astronomie pour déterminer la vitesse d’une étoile
par rapport à la Terre. En outre, les radars Doppler sont employés
en météorologie et pour le contrôle radar de la vitesse
des véhicules.
Figure 2. L’écograhie met en œuvre aussi bien les
ultrasons que la lumière. À gauche : cliché d’écographie
ultrasonore 3D d’un fœtus de 10 semaines (Cliché J.-M
Levaillant). À droite : cliché d’échographie
optique 3D d’une portion de rétine révélant
un trou annonciateur d’un décollement (Cliché société
Carl Zeiss Meditec)
On pourrait
citer bien d’autres exemples, et d’une façon générale,
la transposition d’un concept ou d’une technique d’un
domaine de la science à un autre est très fécond,
et c’est particulièrement vrai pour l’optique et l’acoustique.
Lord Rayleigh, dont les contributions à la lumière et l’acoustique
sont remarquables, fut l’un de ceux qui le fit avec le plus de succès.
Mais la fertilisation croisée de l’optique et de l’acoustique
ne s’arrête pas là : elle apparaît également
dans l’action concertée ou couplée de la lumière
et du son. Les scientifiques ne manquent pas d’imagination lorsqu’ils
mettent à profit les propriétés extraordinaires de
la lumière pour transmettre le son (via des fibres optiques), l’enregistrer
et le reproduire (CD et DVD), et pour visualiser les vibrations à
l’origine du son (interférométrie holographique et
vibrométrie laser).
Par ailleurs, l’effet photoacoustique, c’est-à-dire
la transformation de la lumière en son (Fig. 3) au sein de la matière
donne lieu à diverses applications : détecter des gaz, tester
des puces électroniques, visualiser des vaisseaux sanguins sous-cutanés,
etc.
Figure 3. Transformation de la lumière en son. Principe de
l’effet photoacoustique
Quant à
la transformation du son en lumière, c’est-à-dire
la sonoluminescence, voilà un phénomène bien intrigant
qui n’apparaît que dans des situations exceptionnelles (Fig.
4). Ce phénomène d’une grande complexité continue
à susciter l’intérêt des chercheurs de communautés
différentes : l’objectif est de comprendre le comportement
de la matière dans des conditions extrêmes.
Figure 4. Transformation du son en lumière. Un faisceau d’ultrasons
de haute intensité provoque la naissance d’un grand nombre
de bulles par cavitation. L’implosion de ces bulles s’accompagne
d’une émission de lumière appelée sonoluminescence
(Cliché K.S. Suslick, Université de l’Illinois à
Urbana-Champaign, Etats-Unis).
Enfin, est-il
possible d’associer une couleur à un son ? En considérant
les domaines respectifs de longueurs d’onde et de fréquences
des ondes sonores et lumineuses que nous percevons (Fig. 1), et compte
tenu des différences entre nos systèmes de perception visuelle
et auditive des fréquences, il ne peut y avoir de correspondances
rationnelles entre sons et couleurs. Pourtant, les tentatives n’ont
pas manqué (Fig. 5), et nombreux sont les instruments inventés
pour créer des couleurs à partir des sons, depuis l’invention
du clavecin oculaire par le père Castel en 1740. Parmi les peintres
et les musiciens qui mettent en œuvre les associations sons-couleurs,
citons le compositeur Scriabine et le « peintre des sons »
Charles Blanc-Gatti. Tous deux étaient affectés du syndrome
d’audition colorée (forme de synesthésie) : il s’agit
de phénomènes de vision colorée produits lors de
la perception de sons. D’une façon plus générale,
la démarche du musicien vers les couleurs et la démarche
du peintre vers la musique conduisent à des créations artistiques
originales et riches en symboles.
Figure 5. Association de douze couleurs aux douze notes de la gamme
chromatique par A. W. Rimington en 1895.
Pour en savoir plus
B. Valeur, Sons et Lumière, Belin, 2008.
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