Lors
d’une découverte de cadavre, l’estimation du délai
post mortem par l’entomologie légale peut s’avérer
essentielle dans une enquête judiciaire. L’identification
et l’étude de la physiologie du développement de certains
insectes nécrophages constituent la base de l’analyse entomologique.
Faute de faire « parler» le cadavre, l’entomologie légale
utilise ainsi ses « occupants » d’un type un peu particulier.
1.
Introduction - Définition
1.1 Définition
L’entomologie légale, médicocriminelle ou forensique
constitue l’ensemble des interactions entre les insectes et la justice.
Néanmoins cette discipline reste quasi exclusivement consacrée
à l’étude des insectes nécrophages pour l’estimation
du délai post mortem. Et pourtant, les applications de l’entomologie
légale sont multiples : détermination de l’origine
géographique d’une marchandise, mise en évidence de
mauvais traitement à animaux ou protection des espèces protégées
par des conventions nationales, communautaires ou internationales (convention
de Washington). Leur identification a aussi permis la mise en évidence
d’escroquerie, ou a été demandée lors d’un
accident d’avion.
1.2
Qu’est ce qu’un insecte ?
Les insectes ou « hexapodes » sont apparus il y a près
de 400 millions d’années, et constituent dans le règne
animal la part la plus importante en diversité et en biomasse.
Leur petite taille, mais surtout une capacité de reproduction hors
du commun a permis une formidable adaptation ayant abouti à une
grande diversité d’habitats.
Les insectes sont essentiels dans toutes les chaînes alimentaires
et constituent eux-mêmes une source de nourriture pour d’autres
animaux ou plantes. Ils recyclent les éléments nutritifs
(coprophages), sont associés à la décomposition de
tissus organiques (insectes saprophages et nécrophages). Prédateurs,
parasites ou vecteurs de maladie, ils peuvent être utilisés
dans la lutte biologique, pour la synthèse de nouvelles molécules,
par l’industrie pharmaceutique, mais aussi dans certaines unités
de soins pratiquant la biothérapie (traitement des nécroses).
Ils participent à la pollinisation des plantes (melliphages), peuvent
être nuisibles aux végétaux et cultures (phytophages).
Possédant pour certains des cycles courts de développement
(Diptères), ils sont été utilisés comme modèles
d’étude. Cette spécificité associée
à leur régime alimentaire et un processus de colonisation
particulier des carcasses animales ou cadavres humains a conduit à
appliquer l’étude des insectes nécrophages dans le
domaine des sciences forensiques.
2.2
Principes
2.2.1 Les modifications d’un corps sans vie
Lorsque la mort survient, les phénomènes observés
sont d’une part de nature abiotique, c’est à dire consécutifs
à l’arrêt des activités vitales du cœur,
des poumons, du cerveau entraînant un refroidissement du corps :
rigidité, déshydratation et acidification (signes négatifs
de la vie). Mais ils ont également la forme de transformations
qui vont générer d’importantes modifications au sein
du corps : autolyse cellulaire, autodigestion et putréfaction (signes
positifs de la mort).
La dégradation de la matière organique est le fait de l’action
de bactéries anaérobies et aérobies, intestinales
ou pulmonaires, de celle de champignons microscopiques, combinée
à l’autolyse des cellules ou des tissus par des enzymes libérées
en raison des bouleversements biochimiques. Cette putréfaction
peut être sèche (corps en zone aride) ou humide. On parle
alors respectivement de momification ou d’adipocire. De nombreux
facteurs affectent ce phénomène, dont la nature du corps
lui-même (facteurs intrinsèques : âge, constitution,
cause du décès) ou son environnement (facteurs extrinsèques
: conditions climatiques, présence de vêtements, macro et
microfaune nécrophage).
2.2.2
L’action des insectes
Les insectes nécrophages occupent une part active au cours de ce
processus conduisant à la réduction squelettique. Leurs
antennes sont munies de puissants chimiorécepteurs capables de
capter des molécules odorantes, favorisant l’accouplement,
la reproduction (phéromones sexuelles), mais surtout pour repérer
une source de nourriture, en l’occurrence un cadavre. Leur rapidité
de locomotion (vol…) permet à certains diptères (mouches)
mais également à des coléoptères, lépidoptères
et autres Arthropodes de coloniser un cadavre humain ou animal. Le docteur
P. Mégnin donnera à cette microfaune nécrophage le
nom de travailleurs de la mort.
Ce processus
de colonisation débute par une ponte d’oeufs de Diptères
dans des zones privilégiées dont les yeux, les orifices
naturels, les blessures et les plis cutanés. Le cycle de développement
des Diptères comprend une phase d’incubation (stade œuf)
suivie de l’éclosion d’une jeune larve de stade 1 qui
va croître en se nourrissant et muer pour atteindre le deuxième
puis troisième stade larvaire. Pour préparer sa nymphose
ou métamorphose, la larve cesse de s’alimenter et migre hors
de son substrat, pour rejoindre, en conditions naturelles, la couche superficielle
du sol, afin de se protéger des éventuels prédateurs
et de la lumière. Elle s’immobile alors et forme une enveloppe
protectrice rigide de nature glycoprotéique qui constituera le
puparium. A l’intérieur de ce cocon, la nymphe (pupe) acquiert
progressivement les caractères de l’adulte. Lorsque la métamorphose
est achevée, l’imago (insecte parfait) s’extrait du
puparium pour s’envoler vers un nouveau cycle de vie, une fois ses
ailes séchées.
Les Diptères ne sont pas les seuls colonisateurs, car d’autres
ordres suivent comme les Coléoptères, voire les Lépidoptères.
Il existe en effet un processus de colonisation chronologique d’un
cadavre dès les premières pontes suivant le décès
qui va participer à le réduire à l’état
de squelette. Outres les insectes nécrophages stricts, sont retrouvés
des prédateurs, des parasites, des omnivores ou des opportunistes.
En 1894, dans son ouvrage intitulé La faune des cadavres, le Dr
Pierre Mégnin évoque ce phénomène de succession
chronologique d’insectes et d’acariens sur un cadavre, en
huit vagues successives, qu’il qualifie d’escouades.
Alors que les odeurs cadavériques ne sont pas encore perceptibles
par l’homme, les premiers colonisateurs interviennent. Il s’agit
principalement de Diptères Calliphoridae (Calliphora vomitoria,
Calliphora vicina), ces mouches bleues de la viande que l’on rencontre
toute l’année ou des Muscidae, parmi lesquelles on retrouve
la mouche domestique, Musca domestica.
Les individus
de la deuxième escouade interviennent à l’apparition
de l’odeur cadavérique. On y retrouve d’autres Calliphoridae
(Lucilia sericata, L. caesar,...) et des Sarcophagidae. Les mouches du
genre Lucilia, d’un vert métallique particulièrement
esthétique, sont aussi connues pour provoquer des myiases notamment
chez le mouton.
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Les Sarcophagidae
sont appelées mouches à damiers, en raison des motifs noirs
contrastant avec la couleur grise de leur abdomen. Les femelles sont toutes
larvipares, libérant des dizaines de jeunes immatures aptes à
entrer directement en action sur le substrat nutritif (matières
animales ou végétales en décomposition, voire des
excréments). La phase de décomposition qui suit est particulièrement
malodorante. Le responsable est l’acide butyrique, acide gras volatile,
qui est libéré lors de la fermentation des graisses. Les
colonisateurs de la troisième escouade sont des Coléoptères
Dermestidae du genre Dermestes et des petits Lépidoptères
Pyralidae du genre Aglossa dont une proche cousine connue sous le nom
de Pyrale du maïs, provoque des dégâts dans les cultures
éponymes.
L’arrivée de la quatrième escouade est provoquée
par la fermentation dite caséique, car elle attire des petits Diptères
colonisant les fromages ayant atteint le même stade de modification.
Ces Piophilidae ont la particularité d’avoir développé
au stade larvaire un moyen efficace d’échapper à leur
prédateur, grâce à des sauts très caractéristiques
générés par une brusque détente du corps préalablement
arqué . On peut rencontrer d’autres Diptères de petite
taille de la famille des Fanniidae, dont les larves possèdent des
protubérances très caractéristiques leur permettant
d’évoluer dans les liquides putrides. Ces milieux sont également
propices à d’autres Diptères : Drosophilidae, Sepsidae
ou Syrphidae telles les Eristales dont les larves aquatiques, dites à
queue de rats en raison d'un siphon respiratoire rétractile, peuplent
les eaux usées. Les Coléoptères sont représentés
par des Cleridae, insectes de petite taille aux couleurs métalliques
(Necrobia). Une forte odeur très désagréable accompagne
la phase suivante, qui correspond à la fermentation ammoniacale.
Elle attire de petits Diptères Muscidae du genre Ophyra ou des
Phoridae. A leur côté sont présents des Coléoptères
Silphidae ou Histeridae. Avec l’arrivée de la sixième
escouade la dessiccation du corps est accélérée par
l’action de petits Arachnides (et non plus des Insectes) appelés
Acariens qui absorbent les dernières humeurs dont il est encore
imprégné. Lorsque le cadavre est totalement sec, arrivent
des insectes du même type que ceux qui s’attaquent aux fourrures,
tissus, voire les collections d’histoire naturelle. Il s’agit
de Coléoptères de la famille des Dermestidae, du genre Attagenus
ou Anthrenus. On y retrouve également des Lépidoptères
du genre Tineola (teigne des fourrures) dont les chenilles peuvent ronger
tendons, ligaments ou même des phanères. Les individus de
la huitième escouade se contentent des débris du corps qui
subsistent encore. Il s’agit de Coléoptères : Ptinus
brunneus et Tenebrio obscurus.
Il est important de rappeler que le processus de colonisation d’un
corps sans vie dépend du corps lui-même de la zone géographique,
de la saison et plus généralement des facteurs environnementaux.
Dans le cas de cadavres inhumés, la population est moins nombreuse,
les possibilités de pontes étant limitées et dépendantes
de la durée d‘exposition de la dépouille, de la présence
de cercueil, de sa nature (bois ou plomb), de l’essence de bois
utilisée ou de la profondeur d’enfouissement. Les Calliphora
et les Muscina se manifestent en premier (exposition du corps, mise en
bière), suivie des Ophyra et des Phorides. Deux espèces
de Coléoptères interviendront plus tardivement. Il s’agit
de Rhizophagidae et de Philonthus sp. et de Staphylinidae.
L’entomologie
légale fait partie du paysage criminalistique depuis plus de 60
ans, tout en conservant un statut de discipline nouvelle. Pourtant, la
représentation ou l’utilisation des insectes nécrophages
trouvent leur origine il y a bien longtemps.
2.3
Historique
2.3.1 Les insectes et la mort
Les représentations de la mort et des insectes y étant associés
sont récurrentes, quelles soient artistiques ou symboliques. Les
plus anciennes ont été observées il y a 3600 ans
en Mésopotamie dans une collection d’écritures cunéiformes
figées dans l’argile, avec mention de mouches « vertes
» et « bleues » (probablement des Diptères Calliphoridae
nécrophages). Pendant très longtemps des illustrations ont
ainsi représentés des corps colonisés par des vers
sans que la relation entre ces colonisateurs et la ponte des mouches soit
établie. En 1767, le biologiste Carl von Linné rapporta
que trois mouches pouvaient réduire un cheval à la vitesse
d’un lion au regard des pontes qu’elles pouvaient produire
sur la carcasse. Aux XVII et XIXème siècles, les exhumations
de masse en France et en Allemagne, permirent aux médecins légistes
d’observer que les corps enterrés étaient habités
par des Arthropodes.
2.3.2
De la genèse à nos jours
Le premier cas documenté en entomologie légale est issu
d’un précis de médecine légale chinois datant
du XIIIème siècle dans lequel est relaté le témoignage
d’un homme de loi dénommé Sung Tzu au sujet d’un
meurtre par arme blanche commis dans une rizière. Le jour suivant,
l’enquêteur demande à tous les paysans du village de
présenter leur faucille. De minuscules traces de sang, subsistant
sur l’une d’elles, auraient attirés des mouches. Ainsi
confondu, le propriétaire de cet outil confessa son geste et fut
châtié. Le premier cas publié d’entomologie
légale en France, remonte en 1855. Un médecin, le docteur
Bergeret établi une estimation du délai post mortem par
l’étude d’insectes nécrophages dans un rapport
d’expertise datant de 1850. Il identifia et étudia les cycles
de développement de la faune collectée (pupes et larves
de Diptères) sur le squelette d’un nouveau-né découvert
lors de travaux dans une habitation. Il détermina ainsi un délai
post mortem de deux ans, mettant hors de cause les derniers acquisiteurs.
D’autres études suivirent avec Camille Hippolyte Brouardel,
membre de l’académie française de médecine
en 1880 puis Pierre Mégnin en 1894.
D’autres
études expérimentales suivirent dans la première
moitié du XXème siècle, utilisant divers modèles
animaux (cochons, chiens, chats ou oiseaux). A la fin de la deuxième
guerre mondiale les cas relatés par les Docteurs Pekka Nuorteva
en Finlande et Marcel Leclercq en Belgique, puis les travaux de Bernard
Greenberg aux Etats-Unis et d’autres donnèrent à cette
discipline un second souffle. La lecture d’un article du Dr Leclercq
par un officier de gendarmerie fut d’ailleurs à l’origine
de la création du département Entomologie de l’IRCGN.
Dès le début des années 1980, Outre Atlantique, le
Federal Bureau of Investigation (FBI) mît en place une cellule Forensic
Entomology. En 1988, au Canada (Colombie Britannique) l’université
Simon Fraser initia une coopération dans ce domaine avec la police
montée. Ce type d’association s’est développé
dans d’autres pays comme le Royaume-uni, l’Italie, l’Autriche,
l’Allemagne, la Suisse… Cet inventaire, confondant tous les
types de structures, n’est bien entendu pas exhaustif.
2.3.3
Le département Entomologie de l’IRCGN
Crée en 1992, cette unité est composée de cinq spécialistes
(gendarme ou civil) constituant ainsi la plus importante structure en
Europe entièrement dédiée à cette discipline.
Après prés de 15 années d’expérience,
elle a produit de nombreuses expertises et interventions sur le terrain
ou témoignages à des procès d’assises. Le département
Entomologie participe à la formation des techniciens en identification
criminelle chargés des prélèvements et sensibilisation
les enquêteurs et des magistrats aux possibilités de cette
technique.
Très impliqué dans la démarche qualité et
alimentant des contacts réguliers avec les différents spécialistes
internationaux, ce laboratoire participe efficacement à la promotion
de cette discipline et à l’homogénéisation
des protocoles de récolte et d’analyse.
3.
La méthode entomologique
3.1 Protocole de récolte
La collecte d’indices entomologiques est majoritairement effectuée
par des techniciens en identification criminelle de la Gendarmerie formés
à ce type de prélèvement, mais aussi par des personnels
techniques de la Police ou par les médecins légistes. Les
personnels du département Entomologie de l’IRCGN interviennent,
à la demande des enquêteurs ou des magistrats, sur des scènes
de crime complexes. Pour faciliter cet échantillonnage, un kit
de prélèvement a été conçu et délivré
à chaque unité de recherches.
En présence d’insectes, le prélèvement doit
être systématique et rapide, compte tenu de la nature des
indices. Ce protocole définit la récolte d’insectes
en deux lieux obligatoires : la scène de crime et l’autopsie.
Les spécimens les plus intéressants pour la datation sont
les stades immatures vivants de Diptères nécrophages. Ces
prélèvements deviennent ainsi des pièces de justice
placées sous scellés contenant pour partie des organismes
qui doivent rester en vie jusqu’à leur arrivée au
laboratoire où ils seront triés.
3.2.
La phase d’élevage
Arrivé au laboratoire chaque scellé est photographié
avant d’être « brisé » au sens juridique
du terme. Des piluliers sont extraits les insectes qui vont être
conditionnés en fonction de leur état (vivants ou morts)
et de leur intérêt pour la datation. Les larves de Diptères
extraites vivantes sont placées sur un substrat nutritif (muscle
de bœuf) Ces élevages sont ainsi maintenus jusqu’à
l’émergence des adultes dans des enceintes climatiques. Les
échantillons morts sont placés dans une solution conservatrice.
Ces opérations achevées, l’identification peut commencer.
3.3
L’identification
L’identification s’opère par l’observation sous
stéréo microscope des caractères morphologiques et
biométriques de l’insecte, après une préparation
préalable. L’utilisation d’ouvrages de référence
contenant des clés dichotomiques permet, en fonction de l’état
ou du stade de développement atteint, de progresser dans la classification
jusqu’à l’espèce.
L’identification d’un spécimen permet d’obtenir
une somme d’information sur son régime alimentaire, son habitat,
son comportement (développement, vol, ponte) au regard des conditions
environnementales..
3.3
L’estimation des dates d’oviposition
L’estimation du délai post mortem peut s’avérer
primordiale dans une enquête, dont elle constitue parfois le point
de départ. Il existe différentes méthodes permettant
de déterminer avec plus ou moins de précision la date du
décès.
En matière d’entomologie légale, la tâche de
l’analyste est de déterminer avec la plus grande précision
possible, la période de ponte des premiers insectes (Diptères)
ayant colonisé le corps. Le système sensoriel est particulier
chez ces poïkilothermes dont la biologie et la physiologie sont régulées
par les variations des facteurs externes comme la qualité du milieu
de vie, la compétition entre congénères, la photopériode,
l’ensoleillement, l’humidité, la pluviométrie,
le vent et surtout la thermopériode. L’influence de ce paramètre
sur les temps de développement a fait l’objet de nombreuses
études. Les Diptères possèdent un seuil thermique
minimum d’activité propre à l’espèce.
Des études ont permis d’obtenir des données sur les
temps de développement à différentes températures
des espèces d’intérêt pour la datation.
3.4
L’intervalle post mortem (IPM)
La détermination de la période d’activité des
insectes sur le corps correspond à l’intervalle ou délai
post mortem. L’estimation du délai post mortem est basée
sur la détermination de la période de ponte des premières
espèces de Diptères nécrophages venues coloniser
un corps et peut s’appuyer sur l’étude des successions
de différentes communautés d’Arthropodes au cours
de la décomposition. Souvent associées en conditions normales,
il est cependant important de rappeler que ces deux notions demeurent
toutefois distinctes. En effet, cette période d’activité
des insectes peut être bien inférieure à l’intervalle
post mortem. En effet un délai d’accessibilité du
corps à ces organismes peut être observée en raison
de mauvaises conditions climatiques, ou d’une action humaine. En
règle générale, on considère qu’il y
a concomitance entre les pontes et le décès.
3.4.1
Etude des cycles complets de développement
L’autre solution permettant l’estimation du délai post
mortem est de travailler à partir de la génération
obtenue après élevage des immatures reçus vivants
au laboratoire. Les spécimens sont ainsi élevés (dans
les conditions précédemment décrites) jusqu’à
l’émergence imaginale qui correspond au cumul thermique total.
Le nombre de jours nécessaires à l’obtention des adultes
est consigné dans des formulaires. Cependant, les données
de température contrôlées au laboratoire doivent être
nécessairement complétées par les valeurs des stations
météorologiques les plus proches ou les plus représentatives
du lieu de découverte du corps où se sont développés
nos échantillons. L’historique des températures comprises
entre la mort et la découverte du corps est alors reconstitué.
L’identification des différents insectes issus de l’élevage
permet ainsi de déterminer, pour chaque espèce, sa période
d’oviposition et d’estimer le délai post mortem. Cette
démarche permet de prendre en compte l’intégralité
du cycle de développement de l‘insecte et de réduire
par conséquent l’incertitude. Elle s’appuie en grande
partie sur des données de températures journalières
fluctuantes et non plus sur des moyennes globales comme précédemment.
Comme nous l’avons évoqué, la physiologie du développement
de l’insecte et l’altération cadavérique sont
deux processus dépendants des conditions environnantes. Le cas
concret qui va suivre illustre parfaitement ce phénomène.
3.4.2
Cas concret
Au début du mois de décembre, le corps d’une femme
est découvert dans un ravin dans une région de moyenne montagne.
La victime est enveloppée dans une bâche agricole. L’action
de la macrofaune est visible à l’exemple d’orifices
observés sur la bâche. L’état de décomposition
du corps est en apparence peu avancé. L’autopsie révèle
que la mort est consécutive à un coup porté par une
arme blanche. Le décès est estimé entre 7 et 10 jours.
Des prélèvements entomologiques ont été effectués
par les techniciens en identification criminelle de la gendarmerie autour
de la blessure, puis envoyés au département Entomologie
de l’IRCGN. L’expert identifie après élevage
des stades immatures de deux espèces de Diptères Calliphoridae
(Calliphora vomitoria et Calliphora vicina) réputées coloniser
un corps peu après le décès. Ces larves de Diptères
sont de jeunes deuxièmes stades. L’analyse des rapports climatologiques
révèle des températures assez fraîches, proche
de 0°C. Cependant ces deux espèces possèdent des seuils
thermiques d’activité relativement bas. Le développement
de ces insectes a ainsi été fortement ralenti sans que les
températures ne leurs soient létales pour autant. La période
d’oviposition la plus favorable est alors estimée à
4 semaines avant la découverte du corps. L’enquête
a par la suite confirmé que la victime avait été
assassinée un mois auparavant, avant que son corps ne soit abandonné
dans le ravin. Malgré des conditions défavorables qui ont
permis une conservation du corps durant plusieurs semaines, l‘analyse
entomologique a orienté les enquêteurs sur la bonne piste
en estimant un délai post mortem fiable.
4.
Conclusion
Malgré plus d’un siècle et demie d’existence,
l’entomologie légale reste considérée comme
une discipline récente en criminalistique. Le potentiel de cette
technique est pourtant énorme, tant par la précision, la
fiabilité et la diversité des informations fournies que
par l’application de techniques issues de la biologie moléculaire
ou de la toxicologie.
L’entomologie utilisée dans les sciences forensiques est
un outil d’une efficacité redoutable, complémentaire
de la médecine légale pour l’estimation du délai
post mortem, dont le champ d’application est encore bien plus vaste
que celui de l’étude des insectes nécrophages. Le
développement croissant de cette discipline dans le monde et les
échanges accrus entre spécialistes concourent à sa
reconnaissance. Ces insectes ont encore beaucoup de secrets à dévoiler
pour participer plus efficacement à la recherche de la vérité,
en remontant le temps.
VIDEO de la conférence
Département Entomologie IRCGN - Rosny sous Bois
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