Lundi 20 Octobre 2008

Du fond du ciel au fond de l'œil: imagerie par optique adaptative

Nicolas Chateau
Fabrice Harms
Francois Lacombe

Société Imagine Eyes
Société Mauna Kea Technologies

 

Du fond du ciel au fond de l'œil: imagerie par optique adaptative
Haute résolution en imagerie cellulaire : quand l'optique s'adapte au physiologique

De l'astronomie à l'ophtalmologie

L'optique adaptative, inventée par des astrophysiciens à la fin des années 60, a décuplé les capacités d'imagerie des grands télescopes terrestres en les rendant capables d'observer des astres extrêmement lointains, comme ceux situés au centre de notre galaxie. Depuis l'an 2000, la technologie a trouvé de nouvelles applications dans un domaine très différent, l'ophtalmologie. L'optique adaptative répond à des besoins médicaux que l'instrumentation optique classique n'a jamais pu satisfaire. Elle a notamment fiabilisé certaines opérations chirurgicales par laser de l'œil grâce à de nouveaux instruments qui adaptent l'action du laser aux particularités optiques de chaque organe traité. Elle a aussi permis d'observer, pour la première fois dans des yeux vivants, les microstructures de la rétine. Par sa capacité à imager les cellules et le réseau micro vasculaire du fond de l'œil, l'optique adaptative apporte aux ophtalmologistes de multiples perspectives de progrès pour vaincre des maladies qui affectent la vision de dizaines de millions de personnes dans le monde.


Réaliser des images nettes au travers de milieux inhomogènes

L'astronomie et à l'ophtalmologie partagent une problématique commune: il s'agit dans les deux cas d'obtenir des images avec un piqué très fin au travers de milieux inhomogènes, ou optiquement imparfaits, qui introduisent des distorsions dans la lumière qui les traverse. De plus, dans les deux cas, les irrégularités optiques rencontrées varient dans le temps. On peut se représenter le problème en imaginant que l'on doit photographier une scène au travers d'un aquarium dont l'eau serait en remous permanent.

Avant de parvenir à un télescope terrestre, la lumière émise par les astres traverse la couche d'atmosphère qui entoure notre planète. L'atmosphère est un milieu optique imparfait, agité par des turbulences qui modifient à tout instant la forme des ondes lumineuses. Les images du ciel obtenues par un télescope terrestre souffrent toujours d'un flou de forme variable, dont l'effet n'est jamais négligeable.

Le physicien allemand von Helmoltz disait à propos de l'œil humain: "Si un opticien voulait me vendre un instrument qui comportait de tels défauts, je me sentirais autorisé à lui reprocher sa négligence dans les termes les plus forts, et je lui renverrais son instrument". En effet, tout œil présente des défauts optiques irréguliers qui ne peuvent pas être corrigés par des lunettes. Ces imperfections sont propres à chaque individu, comme des empreintes digitales. Elles proviennent de petites irrégularités des différents éléments de l'organes: cornée, cristallin, vitrée, etc. Dans les yeux sains, ces défauts ne gênent que rarement la vision mais ils introduisent toujours du flou dans l'imagerie du fond de l'oeil. Cette limitation empêche les médecins d'observer les cellules et les capillaires qui sont les premières structures affectées par les maladies rétiniennes.

Qu'il s'agisse d'observer le très lointain en astronomie ou le très petit en ophtalmologie, on rencontre le même besoin d'améliorer la résolution des images en s'affranchissant des limites optiques qu'imposent les milieux traversés par la lumière.


Astronomie: imager le très lointain

La NASA a trouvé une solution au problème de résolution des images astronomiques avec le programme Hubble. Avec un télescope placé en orbite autour de la Terre, seul un vide sidéral sépare l'astre observé de l'optique d'imagerie. De l'un à l'autre, la lumière chemine dans un milieu optiquement parfait et les ondes ne subissent aucune déformation, d'où le piqué extraordinaire des images de Hubble. Cependant, cette solution spatiale est extrêmement coûteuse non seulement en investissement initial mais aussi en maintenance.

L'optique adaptative a apporté une solution alternative plus économique car adaptable aux installations astronomiques terrestres déjà existantes. Son principe consiste à corriger les déformations qu'ont subies les ondes lumineuses à l'aide d'un miroir déformable situé en amont de la détection d'images. Le miroir se déforme de manière à introduire des défauts opposés à ceux créés par l'atmosphère. La qualité de la correction obtenue est constamment mesurée par un analyseur de surface d'onde, qui informe un calculateur de tout défaut résiduel. A partir de cette information, le calculateur réactualise la forme du miroir. Le système fonctionne ainsi en boucle répétitive, à un rythme assez rapide pour s'adapter aux variations dues aux turbulences.

Cette technologie a permis d'améliorer la résolution d'installations comme le VLT (Very Large Telescope) au Chili. La qualité des images obtenues est comparable à celle de Hubble. Les progrès liés à l'optique adaptative sont considérables. Par exemple, on a pu depuis la Terre observer des détails de moins de 50 mètres sur la surface lunaire et déterminer les orbites d'étoiles extrêmement lointaines, proches du centre de notre galaxie.

 
Figure 1. Surface lunaire observée depuis un télescope terrestre en désactivant (à gauche) puis en
activant (à droite) son système d'optique adaptative. Ce système permet d'atteindre une résolution de 50m.


Ophtalmologie: imager le très petit

L'optique adaptative a trouvé une première application en ophtalmologie au début des années 2000 en donnant naissance aux aberromètres. Ces instruments utilisent le même principe d'analyse de surface d'onde que les systèmes astronomiques pour diagnostiquer l'ensemble des irrégularités optiques de l'œil. Les aberromètres sont maintenant couramment utilisés pour la correction des défauts visuels par chirurgie réfractive laser: leur mesure permet de doser point par point l'application du laser, afin d'optimiser l'ablation du tissu cornéen en fonction des particularités optiques de chaque œil opéré. Cette technique a permis d'améliorer significativement les résultats post-opératoires, en particulier l'acuité visuelle des patients.

 
Figure 2. Aberromètre: cet instrument récent utilise les capteurs de l'optique adaptative pour
diagnostiquer instantanément l'ensemble des défauts optique de l'oeil.

Au delà de la chirurgie réfractive, l'application de l'optique adaptative à l'imagerie du fond de l'oeil, actuellement en développement, devrait apporter des bénéfices médicaux encore plus importants. En effet plusieurs dizaines de millions de personnes dans le monde souffrent de maladies de la rétine comme la dégénérescence maculaire liée à l'âge, la rétinopathie diabétique, le glaucome et d'autres maladies moins répandues mais très handicapantes comme la rétinite pigmentaire. Le nombre de patients atteints ne fait qu'augmenter. Alors que des traitements existent pour certaines de ces maladies et qu'une recherche intensive s'efforce de développer de nouvelles thérapies, une condition critique pour préserver la vision des patients est de diagnostiquer leurs pathologies au plus tôt.

Malheureusement, pour une grande majorité des cas, le diagnostic n'est connu qu'après l'apparition de dégradations irréversibles de la vision. La majeure partie des éléments de diagnostic provient d'images de la rétine or, comme nous l'avons expliqué précédemment, ces images n'ont pas une résolution suffisante pour révéler les microstructures qui sont les premières touchées par les pathologies.

Tout récemment, le consortium français INOVEO a développé un nouveau prototype d'imagerie rétinienne utilisant l'optique adaptative, destiné à la recherche clinique en ophtalmologie. Ce système permet aux médecins d'observer au fond de l'oeil des structures microscopiques qui restaient complètement invisibles avec l'instrumentation déjà existante. Lorsque l'optique adaptative est mise en fonctionnement, la résolution des images passe de 20 à 3µm. Il devient possible de visualiser la mosaïque des cônes photorécepteurs, cellules dont le diamètre est de l'ordre de 4-5µm, les capillaires les plus fins, d'un diamètre de l'ordre de 6µm, ainsi que les détails microscopiques d'autres structures comme la papille.

 
Figure 3. Couche des cellules photoréceptrices de la rétine imagée par le prototype INOVEO
en désactivant (à gauche) puis en activant (à droite) son système d'optique adaptative

Deux exemplaires du prototype d'INOVEO ont été installés dans les départements d'ophtalmologie des hôpitaux Necker à Paris et CHIC à Créteil. Un troisième destiné à l'hôpital des Quinze-Vingts à Paris est en construction. Un programme d'investigations clinique a démarré pour explorer les applications de l'optique adaptative dans le diagnostic, le pronostic et l'amélioration des traitements de plusieurs pathologies de la rétine. Pour plus d'informations sur le consortium INOVEO, voir http://www.imagine-eyes.com/content/view/100/115/

 
Figure 4. Prototype d'imagerie du fond de l'oeil développé dans le projet INOVEO.
L'optique adaptative permet à ce dispositif d'imager in-vivo la rétine à l'échelle cellulaire.

Pour conclure, nous pouvons affirmer que les applications de l'optique adaptative ont seulement commencé à montrer leurs bénéfices. Au delà des applications que nous avons citées, qui sont les plus avancées, d'autres sont en voie d'émergence. En ce qui concerne l'ophtalmologie, il n'est pas déraisonnable de penser que l'optique adaptative pourrait jouer un rôle très important pour réduire le nombre de cas de malvoyance ou de cécités et améliorer la qualité de vie de millions de gens dans le monde.

VIDEO de la conférence

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