Lundi 2 Juin 2008

Des airs de désert :
les mystères du chant des dunes

Bruno Andréotti
Lénaïc Bonneau

ESPCI

 

Certaines dunes peuvent émettre spontanément un son grave harmonieux et puissant. Ce phénomène provient d'un couplage entre le mouvement des grains de sable dans une avalanche et certaines propriétés acoustiques remarquables du sable..


Duna Bianca

De nombreuses dunes éoliennes émettent un son puissant et harmonieux lorsqu’une avalanche coule sur sa face pentue. Les avalanches se forment lorsque l’angle de la surface dépasse une valeur seuil appelée angle statique (entre 32 et 35 degrés pour le sable). L’écoulement s’arrête lorsque la pente relaxe en dessous d’un second angle appelé angle dynamique ou angle de repos (entre 30 et 32 degrés pour le sable). La première référence au phénomène date du XIXème siècle, dans un manuscrit chinois. Dans le récit de ses voyages parus en 1298, Marco Polo en livre une évocation exotique et mystique ; le son y est décrit comme un mélange du son de tous les instruments de musique, et en particulier le tambour.

La plupart des dunes ne chantent que lorsqu’elles présentent, à leur surface, une couche de sable très sec suffisamment épaisse. Les petites dunes étant plus efficacement refroidies par le vent et ne présentant pas de grandes faces d’avalanche, elles chantent plus rarement (quelques jours par an pour les quelques 10000 dunes barkhanes du Sahara Atlantique). Lorsque le vent est suffisamment fort pour accumuler efficacement le sable en haut des faces d’avalanche, les plus grandes dunes peuvent produire des avalanches chantantes plusieurs dizaines de fois par jour.


sable d'une dune qui chante

Le son n’est pas relié au vent autour de la dune ni à une résonance en son sein, mais au mouvement des grains en écoulement. En particulier, le même son est émis par des avalanches nucléées naturellement et par des avalanches induites par la poussée continue d’une personne glissant le long de la face pentue.


Son entendu par une personne glissant sur la dune
(http://www.pmmh.espci.fr/fr/morphodynamique/index.html)

Lorsque l’écoulement de sable est entraîné par la gravité de manière homogène et stationnaire, le son présente une fréquence bien définie qui ne dépend que de la taille des grains, et pas de la taille de la dune ni de la position de l’avalanche sur la dune. Sur Terre, elle peut varier entre 60 Hz pour les plus gros grains (350 microns) à 100 Hz pour les plus petites (100 microns). Le phénomène peut-être reproduit à petite échelle en induisant des écoulements entraînés non plus par la gravité mais par un gradient de pression. Une poussée de la main dans le sable induit par exemple une fréquence d’émission qui croît avec la vitesse de poussée et peut atteindre 300Hz. Dans tous les cas, les modèles simples d’écoulements de grains conduisent à penser que la fréquence d’émission est égale à la fréquence de collision des grains dans la zone de cisaillement qui sépare l’avalanche de la partie statique de la dune.


Relation entre fréquence d'émission et taille de grain

L’émission du son dans l’air est due à des ondes sismiques guidées à la surface du sable dans l’avalanche mais aussi en dehors de celle-ci, dans la zone de sable au repos. Ces ondes se propagent à une vitesse extrêmement faible (autour de 50 m/s à 100 Hz), qui provient en partie de la géométrie des contacts entre grains. Comme la membrane d’un haut-parleur, l’oscillation de la surface du sable liée à ces ondes émet une onde acoustique dans l’air. Ces ondes sont excitées par les collisions des grains dans l’avalanche. En retour, les oscillations du sable tendent à synchroniser les collisions des grains qui de ce fait, renforcent ces ondes. L’amplitude du phénomène (100 à 105 dB) est limitée par le fait que les grains décollent lorsque la gravité n’est plus capable de compenser l’accélération du sol.

Ce mécanisme est celui d’une émission stimulée, ce qui ferait du chant des dunes, un Laser mécanique.

 

Programme 2008