Lundi 17 Mars 2008

Rythmes et ornements chimiques

Patrick De Kepper
Etiennette Dulos

Université de Bordeaux I Pessac

Nous présentons un aspect inhabituel de la chimie. En effet, certaines réactions chimiques donnent spontanément naissance à des comportements étonnants tels que oscillations périodiques au cours du temps ou organisation spatiale des concentrations d’espèces chimiques en solution. Parmi ces auto-organisations, mentionnons des ondes propagatives ou des réseaux périodiques et stationnaires de taches ou de bandes. Il est intéressant de souligner que les mécanismes à la base de ces phénomènes sont souvent évoqués pour rendre compte de certains aspects de la morphogenèse en biologie.

Les réactions chimiques impliquées mettent en jeu des processus cinétiques non linéaires tels que des auto-activations, contrebalancées par des processus inhibiteurs. Les premières réactions chimiques oscillantes furent découvertes par hasard au début du siècle dernier. Leur étude s’est beaucoup développée depuis les années 1960 et 70, dans le cadre de la dynamique des systèmes non linéaires. On en connaît maintenant plusieurs centaines.

En réacteur agité, nous montrerons quelques exemples spectaculaires de comportements oscillants, à l'aide de réactions d'oxydo-réduction mettant en jeu des espèces chimiques simples (réaction de Briggs et Rauscher et réaction de Belousov-Zhabotinsky).

Oscillations du potentiel redox de la réaction Briggs-Rauscher en solution agitée. Amplitude des oscillations ~200mV, période 16 s.


En l’absence de toute agitation et de tout mouvement convectif, le transport des espèces réactives est gouverné par la diffusion moléculaire (processus homogénéisant). Le couplage de la réaction chimique et de la diffusion moléculaire peut, paradoxalement, conduire à l'émergence d'une organisation spatiale des champs de concentrations! Ces «motifs chimiques», dont les dimensions caractéristiques sont sans relation avec la taille des molécules mises en jeu, sont qualifiés de structures de « réaction-diffusion ». Ceux-ci peuvent prendre la forme d'ondes propagatives ou de structures stationnaires. Nous présenterons des expériences sur les structures cibles et spirales de la réaction de Belousov-Zhabotinsky.


Vues instantanées d’ondes propagatives dans une solution de la réaction de Belousov-Zhabotinsky, en boîte de Pétri. Les variations de couleur du rouge au bleu indiquent des variations de l'état d'oxydation d'un complexe coloré du fer (ferroïne/ferriïne). Dimensions des vue 40x26 mm


Dans tous ces phénomènes d’auto-organisation, les réactifs sont consommés et le système évolue vers son état d’équilibre. Au voisinage de l’équilibre, toute organisation disparaît. Ces structures consommant matière ou énergie sont qualifiées de «dissipatives». Pour les entretenir, il faut apporter en permanence des réactifs frais, donc travailler en milieu ouvert.

L’étude systématique de réactions chimiques auto-activées, en milieu ouvert et agité (réacteur continu et agité), a permis outre l’étude fine des comportements oscillants, la mise en évidence d’états stables multiples et l’établissement des diagrammes d’état de non équilibre. Parmi ceux-ci, le « diagramme croisé » établi par notre équipe est devenu l’outil privilégié grâce auquel de très nombreuses nouvelles réactions chimiques oscillantes ont été découvertes dans les années 1980 et 90.

Des réacteurs spatiaux ouverts adaptés aux études des structures de réaction-diffusion n'ont été mis au point que dans la deuxième moitié des années 80. Ils sont à la base d’une avancée majeure réalisée en 1990 par notre équipe : la première mise en évidence expérimentale de « structures de Turing ». Ces structures stationnaires avaient été prédites dès 1952, sur des bases purement théoriques, par le mathématicien anglais Alan Turing, pour expliquer certains aspects de la morphogenèse. Les applications de ce travail fondateur de la biologie théorique sont encore matière à discussion.

Structures de Turing en réseau hexagonal de taches et en bandes parallèles observées avec la réaction dioxyde de chlore-iode-acide malonique à deux concentrations différentes des réactifs.

Programme 2008