Lundi 10 Décembre 2006

L' Art du paraître

Emmanuel Delfosse
Florian Thévenot

Muséum Nationale d' Histoire Naturelle
Consultant scientifique

Manger ou être mangé ; telle est la loi fondamentale par laquelle la Nature a engendré chez un nombre important d’organismes, au cours de l’évolution, des techniques de survie diverses et parfois très complexes.
Parmi celles-ci, nous distinguons le mimétisme.
Depuis l’invention de ce concept au début du XIXe siècle, de nombreux problèmes de vocabulaire se sont présentés, notamment par une différence dans la définition de ce terme entre Français et Anglais (mimicry).
Ceci eût pour effet, couplé à une « cécité » de plusieurs centaines d’années, d’augmenter la complexité à regrouper les différentes recherches effectuées sur ce thème.
Quoi qu’il en soit, une des définitions les plus significatives pour qualifier ce phénomène, fut donnée par Boulard en 1992 : « C’est la faculté de passer pour ce que l’on n’est pas, avec pour résultat de ne pas être mangé ou au contraire, de mieux attaquer et manger », afin d’assurer la pérennité de son espèce.

D’autre part, le mimétisme est une stratégie impliquée dans différents Phyla et comportant de nombreux aspects : moléculaire, morphologique, écologique, biogéographique et éthologique.

1. Le système mimétique


Ce système d’interactions comprend trois acteurs principaux, jouant chacun un rôle précis, que nous pouvons nommer : mime, modèle et dupe.
Essayons de décrire les particularités qui leur confèrent un rôle si déterminant :

• Le mime est un animal qui plagie, par différents moyens, l’identité d’un autre organisme ou d’un élément du milieu dans lequel il évolue ou encore, n’évoquant qu’une partie d’un autre animal.


• Le modèle, émetteur de stimuli, est soit un élément abiotique du milieu dans lequel vit le mime et ne suscitant aucun intérêt pour son adversaire (matière minérale, etc.), soit un élément biotique (animal ou végétal) repoussant (immangeable, dangereux, etc.) ou attirant (nourriture facile, etc.).
Le modèle peut donc être n’importe quoi, à condition qu’il existe depuis assez longtemps dans le milieu naturel où vit l’espèce mimétique pour que le long processus évolutif, guidé par la sélection naturelle, ait pu amener cette espèce à lui ressembler.
Parfois, il est à noter que ce modèle peut être virtuel ; cas du mimétisme abstrait dans lequel le modèle n’est pas clairement défini.

• La dupe, animal (puisque ce phénomène exige la perception par les sens) ennemi ou victime du mime réceptif aux stimuli émis par le modèle, est trompée par celui-ci, car lui-même est la source de stimuli semblables à ceux qu’émet le modèle.
De plus, la dupe est un des acteurs les plus importants du trio. En effet, c’est de sa capacité à détecter le mime que dépend la réussite ou l’échec de la supercherie.

2. Les règles


C’est à la fin du XIXe siècle, lorsque les théories sur le mimétisme, commencèrent à enthousiasmer les scientifiques que de nombreuses études furent dirigées par des spécialistes tel Henry Bates (1825-1892). Par la suite, elles ont conduit Alfred Wallace (disciple de Charles Darwin) en 1871, qui imposa en Angleterre la notion de mimicry comme terme technique, a décréter trois règles permettant de décrire un cas de mimétisme, sans s’égarer dans des notions approchantes :

• Rareté du mime par rapport au modèle.

• Concordance de localisation entre mime et modèle.

• Protection particulière du mime grâce au mimétisme.

A ces trois règles fondamentales, Wallace en ajouta, en 1889, deux autres :

• L’imitateur ne présente pas l’aspect propre à son groupe.

• Le mimétisme ne touche que les caractères externes de l’animal.


3. Les principales classes de mimétisme


On trouve dans la littérature scientifique, plusieurs classifications : Chopard (1949), Balsbaugh (1988), Jolivet (1993), etc. Mais les deux principales opposent des points de vue différents :
La première, proposée par Poulton en 1890 et complétée par Cott en 1940, met en valeur la distinction entre deux types de couleurs ; celles indicatrices véridiques (couleurs aposématiques) et celles indicatrices mensongères (couleurs apatétiques).
Néanmoins, cette classification ne présente le mimétisme que sous son aspect de coloration, et ne tient pas compte de la perspective éthologique.

La deuxième classification, proposée par Alfred Wallace en 1871, distingue les types de mimétisme selon leur utilité dans l’écosystème, par leur valeur camouflante ou exhibitionniste, mais elle tient aussi compte du résultat obtenu et de la manière utilisée pour y parvenir.
Elle divise les cas de mimétisme en deux classes distinctes : la mimèse et le mimétisme vrai.

• La mimèse

Il s’agit d’une classe mimétique dans laquelle les individus arborent des systèmes leur permettant de passer inaperçu. On y regroupe les cas de cryptisme et de camouflage, parmi lesquels se définissent deux sous-classes typiques :


- La mimèse protectrice : celle-ci a pour but de conférer à l’organisme une défense passive vis à vis d’un prédateur. C’est le cas de nombreux animaux comme le paresseux (ou aï) d’Amérique du sud, des criquets, certains phasmes ou encore de plusieurs Lépidoptères comme les Kallima sp..


Agrippine d’Amérique du sud


- La mimèse protecto-agressive : elle permet à l’animal mimétique de chasser sans être repéré par ses proies et ses prédateurs, cas de nombreux hippocampes, poissons-pierre et invertébrés, certaines Reduviidae, larves de Névroptères, ou Arachnides, ou de se nourrir à leurs dépends, comme les parasites d’insectes sociaux.


• Le mimétisme vrai

Comparé à la mimèse, l’animal présentant ce type d’adaptation n’est pas camouflé. Au contraire, il affiche ses caractéristiques mimétiques, le plus souvent copiées chez une autre espèce, afin d’attirer l’attention des prédateurs potentiels.
Nous pouvons y distinguer quatre sous-classes :


- Le mimétisme batésien : il s’agit d’un mimétisme visant à repousser l’adversaire en lui inspirant de la peur et/ou du dégoût.
Le mime inoffensif copie alors un modèle, protégé de la prédation par des caractéristiques propres à l’espèce considérée, ce qui lui confère la même protection.


Il existe un cas particulier, relativement peu distinct du mimétisme batésien, nommé mimétisme müllérien, dans lequel mime et modèle possèdent le même faciès ainsi qu’un degré de mangeabilité identique. Les prédateurs n’auront qu’une seule leçon à apprendre pour les éviter : les espèces mimes en tireront avantage, car les essais de prédation seront sensiblement moins élevés.

- Le mimétisme reproductif : cette sous-classe regroupe les cas où le mimétisme est attrayant pour la dupe, et ne permet uniquement que la reproduction du mime.
La dupe étant la plupart du temps de la même espèce que le mime.


- Le mimétisme Peckhamien : dans ce type de mimétisme, les stimuli envoyés à la dupe sont temporaires. Ils sont induits par le mime, sous certaines conditions, dans le but d’attirer la dupe. Cette tactique permet dans certains cas de délocaliser les attaques des centres vitaux, par l’acquisition, au cours de l’évolution, de faux organes attractifs, ou encore d’attirer une proie dans le but de la consommer.

- Le mimétisme ostensible : dans cette catégorie de mimétisme, les signaux envoyés à la dupe, sont également temporaires et consistent en une réponse effrayante à une menace. Il vise donc à apeurer le prédateur, généralement par la brusque apparition de faux organes ou par une attitude menaçante, subite ou impromptue.


Nous venons de le voir, le mimétisme est riche et varié, et un tel classement ne permet d’entrevoir qu’une infime partie de ce nœud très complexe.
Evidemment, ce système n’est pas propre aux insectes et se retrouve dans de très nombreux phyla ; chez les invertébrés (tous les arthropodes, mais aussi des annélides, des trématodes parasites…), les vertébrés (oiseaux, mammifères, poissons, reptiles, amphibiens), se rencontre aussi chez les végétaux (orchidées entomophiles…), et il existe également un mimétisme qualifié de moléculaire dans le cas de certains virus et bactéries.
Concernant les animaux, les classifications restent compliquées à établir étant donné que chaque individu a acquis au cours de l’évolution une combinaison de tactiques mimétiques (utilisées de façon conjointes ou non), lui permettant de survivre.

Programme 2007