Lundi 4 Juin 2007

L'Acoustique Musicale
entre le laboratoire et le musée

Charles Besnainou
Stéphane Vaiedelich
Thierry Maniguet

Université Paris VI
Musée de la Musique

 

La notion de collection patrimoniale est une notion nouvelle. Pour une grande partie, la collection actuelle du Musée de la musique est à l’origine une collection destinée essentiellement à l’utilisation. Elle commence en fait dès 1791 lors de la saisie des biens mobiliers par la Convention. Plus tard collection du conservatoire national, elle ne devient collection nationale à part entière qu’à la fin du 20e siècle.

Dans le même temps, les connaissances historiques sur les instruments anciens progressent et les regards sur notre propre patrimoine musical changent. Ainsi au fil des années, le statut de l’instrument de musique « ancien » passera de l’état de « machine sonore » sur laquelle toutes les interventions sont possibles à celui d’objet d’art se devant de rester le plus fidèle possible de l’époque de son entrée dans la collection.

De fait au sein du Musée de la musique, se côtoient des instruments dont l’état historique est parfois clair, mais le plus souvent brouillé par la superposition des nombreuses interventions que l’instrument a du subir afin d’être au sens de sa fonctionnalité : « maintenu au goût du jour ». Image d’un instrument Combien de générations d’élèves du conservatoire national de musique ont ils usés leurs « fond de culottes » sur ce violoncelle…

Face à cet objet complexe autant objet d’art qu’instrument de l’expression musicale d’une époque, les équipes en charge de la conservation se doivent d’inventer un regard le plus complet possible afin d’embrasser dans leurs politiques de conservation l’ensemble des dimensions qu’il revêt.

C’est donc au confluent de l’histoire de l’art, de celle des techniques, des méthodes d’investigations scientifiques que s’élabore la démarche moderne de conservation de ce patrimoine.

Vihuela de mano
(Cité de la musique - datant de la fin du XVIe ou du début du XVIIe siècle)

Prenons par exemple, la vihuela de mano. Cette instrument emblématique de la culture Ibérique a dominé la musique de cette région durant tout le 15e et la première moitié du 16e siècle. Il reste aujourd’hui trois exemplaires connus de cet instruments dont aucun est susceptible d’être maintenu en état de jeu. Ainsi, le patrimoine sonore que revêt cet instrument pour lequel plus de 500 œuvres ont été identifiées semblerait pourtant à tout jamais disparu. Si tel était le cas, les institutions patrimoniales ne rempliraient pas totalement leurs mission.

Comment aborder alors, la conservation de cet instrument sans entamer une démarche tendant à en réaliser une certaine reconstitution sonore ?

D’où vient t’elle ?
Avec quoi est elle faite ?
Comment est elle faite ?
Comment fonctionne t’elle ?

Sont les questions essentielles auxquelles l’équipe doit répondre dans un premier temps.

Image générale instrument ouvert La vihuela E.0748 du Musée de la musique est l'une des trois encore existantes aujourd’hui.
Complète à l’exception du chevalet, les traces d’usage qu’elle présente attestent d’une utilisation importante.



La table a été démontée, on voit la rose,finement ajourée, composée de trois épaisseurs de bois renforcées de parchemin, à motifs géométriques et floraux..

Les parchemins de renforts dévoilent leur origine très ancienne sous lumière ultraviolette.

Image des détails internes.

Les parchemins de renforts dévoilent leur origine très ancienne sous lumière ultraviolette. Les traces des textes présents montrent qu’ils ont été « récupéré » sur un ouvrage littéraire. L’analyse des pieds de lettre permet de dater les inscriptions aux environs de 1230 !

Etant donné le mauvais état de la vihuela, le musée ne peut pas la restaurer. La question se pose alors de refaire un instrument à l'identique à partir des caractéristiques qui vont être mesurées sur l'original. C'est une démarche associée d’ingénierie inverse qui apporte les éléments d’information fondamentaux sur les caractéristiques mécaniques des matériaux employés.

Un exemple est donné ici sur la table d'harmonie de la vihuela. Des mesures des modes propres de vibration sur la table d'origine vont être effectuées en utilisant des conditions de maintien de cette table proche de ce qu'elle serait si elle était réellement collée sur l'instrument.
Pour cela, la table est maintenu pressée entre 2 planches de bois découpées d'après un moulage de la table. Le serrage est fait sur un l’encastrement de 2 millimètres qui correspond à la largeur du collage initial. On se trouve ainsi très proche des conditions d'origine et c'est avec ce montage que vont être réalisées les mesures des propriétés mécaniques de la table.

A l'aide d'un haut-parleur situé sous la table d'harmonie, on excite les modes propres de celle-ci, on les visualise en saupoudrant la surface avec des grains très fins (ici du sel) qui vont se regrouper là où la vibration est d'amplitude minimale (les noeuds de vibration).

La conception d’un modèle calculé reproduit par un logiciel pour simuler le comportement dynamique (éléments finis) permet par comparaison avec les résultats expérimentaux de mettre en évidence les propriétes mécaniques du bois de la table d’harmonie (élasticité etc...).


Comparaison du modèle et de l’expérience pour le mode IV,
le modèle et l’expérience donnent respectivement 356Hz et 344Hz, soit un écart de moins de 5%…

Afin de s’affranchir de tout artefact expérimental les amplitudes sont mesurées en parallèle par un accéléromètre miniature. Celui-ci donnera des informations plus complètes sur le système, en particulier, la façon dont les vibrations décroissent au cours du temps (phénomènes d'amortissement).

Des études de même nature doivent être menées sur chaque partie de l'instrument. La connaissance complète de l’objet dans toute ses dimensions apparaît alors complètement. En choississant convenablement des matériaux dont les propriétés mécaniques sont identiques à celles de l'original et en faisant appel à un luthier, il ne reste plus qu’a réaliser un fac-similé qui aura les qualités sonores de l'instrument initial et «accessoirement» à inventer … un vihueliste d'époque…  

 

Couverture du "Cahier du musée" consacré à la vihuela

" Aux origines de la guitare : la vihuela de mano"
cet ouvrage est en vente à la Cité de la musique bien sûr mais aussi dans toute les bonnes librairies...

 

Musée de la Musique

Programme 2007