Lundi 22 Janvier 2007 De la plante au médicament François Tillequin Faculté de Pharmacie - Paris V |
L'homme a, de tout temps, utilisé
ou tenté d'utiliser pour se soigner les produits à sa disposition dans
la nature. L'intérêt des produits naturels comme principes actifs ou sources
d'inspiration pour la conception de nouveaux médicaments découle de leur
rôle de médiateurs de communication chimique dans le vivant. Si les antibiotiques
constituent à ce point de vue des exemples immédiats, de nombreux autres
métabolites secondaires naturels se montrent dignes d'intérêt. C'est le
cas notamment des molécules qui participent à la défense des végétaux
contre les agressions bactériennes ou fongiques, comme les phytoalexines,
ou contre les herbivores, comme les alcaloïdes, ou encore diverses substances
à activité hormonale ou anti-hormonale chez les différents groupes d'animaux.
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Les
temps anciens |
Paracelse (1493-1541) |
La Pulmonaire (Pulmonaria officinalis) |
Par exemple, la Pulmonaire (Pulmonaria officinalis L., Borraginaceae) aux feuilles parsemées de taches blanches comme le tissu du pulmonaire devait être souveraine contre les maladies des poumons, l’anémone hépatique (Hepatica triloba Chaix, Ranunculaceae), aux feuilles trilobées, utile au traitement des maladies du foie dont elle rappelait les lobes ou encore la sanguinaire du Canada (Sanguinaria canadensis L., Papaveraceae), au latex rouge vif, utilisée pour traiter les affections du sang. |
Cette théorie
conduit à utiliser, pour le traitement des douleurs rhumatismales, un
certain nombre de plantes croissant spontanément dans terrains marécageux.
Parmi celles-ci, les écorces de Saule blanc (Salix
alba L., Salicaceae) et les sommités fleuries de Spirée ou Reine
des prés (Spiraea ulmaria L., Rosaceae),
utilisées en Europe, révèlent une certaine efficacité. En Amérique du
Nord, l’huile essentielle de Wintergreen, obtenue par distillation de
Gaultheria procumbens L. (Ericaceae), est
également utilisée avec succès en frictions sur les articulations douloureuses. |
Gaultheria procumbens |
Spiraea ulmaria Spiraea ulmaria (details) |
La synthèse industrielle de l’acide
salicylique par carbonatation du phénol, développée entre 1860 et 1874
par Hermann Kolbe et ses élèves, permet la mise à disposition de ce composé
qui devient rapidement le médicament de référence pour le traitement des
rhumatismes et des douleurs inflammatoires. Cependant, son usage reste
limité en raison de sa mauvaise tolérance gastrique. Le quinquina | Saule blanc (Salix alba) Reine des prés (Spiraea ulmaria) |
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Quinquina |
C'est pourquoi la recherche de nouveaux traitements est actuellement une
priorité de la santé publique, le paludisme touchant environ trois cents
millions de personnes dans le monde et étant responsable de deux millions
de décès annuels. |
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Erythroxylum_coca |
C’est au pharmacien français Ernest Fourneau (1872-1949) que revient le mérite de la conception et de la synthèse en 1903 du premier anesthésique local non psychotrope, la stovaïne, qui sera commercialisée par Poulenc Frères dès 1904. La voie était ouverte pour le développement des anesthésiques locaux et un second dérivé, la procaïne (novocaïne®), préparée par Alfred Einhorn en 1905, connaît également un succès commercial immédiat. La coca |
Les
curares Originaires
de régions peu accessibles aux voyageurs, ces produits resteront longtemps
mystérieux. Il faudra en effet attendre les expéditions scientifiques
en Amérique latine de La Condamine puis de Humboldt et Bompland pour disposer
d’échantillons d’origines géographiques parfaitement déterminées. Claude
Bernard étudie le premier les effets pharmacologiques des curares qui
bloquent la conduction de l’influx nerveux au niveau de la plaque motrice,
interface physiologique entre le nerf et le muscle. |
Les
anticancéreux |
Catharanthus roseus |
Catharanthus roseus |
Cette observation les conduisit à envisager une possibilité d'emploi des principes actifs de la plante pour traiter les leucémies, maladies tumorales au cours desquelles le nombre de globules blancs s'élève de manière anormale. L'étude chimique méticuleuse de la pervenche tropicale de 1957 à 1965 permit ensuite à Gordon Svoboda, chercheur aux laboratoires Elli-Lilly aux Etats-Unis, et à son équipe d'isoler puis de déterminer la structure des deux molécules complexes responsables de l'activité antileucémique, la vinblastine et la vincristine. Les études pharmacologiques puis cliniques qui suivirent furent un succès, mais l'obtention de ces produits en quantité suffisante pour le traitement des malades posait un problème industriel et financier difficile, lié à la très faible teneur en composés actifs des feuilles de la pervenche de Madagascar, environ vingt grammes de vinblastine et deux grammes de vincristine par tonne de matériel végétal sec. |
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La
cortisone |
Camptotheca acuminata |
Plusieurs groupes de recherche s'intéressent alors de nouveau au problème sur le plan chimique. Deux analogues synthétiques de la camptothécine, l'irinotécan développé au Japon par la firme Daiichi et le topotécan développé aux Etats-Unis par les laboratoires Smith Kline Beecham, montrent une bonne activité sur les tumeurs solides humaines, associée à une toxicité réduite par rapport au produit naturel. Ces deux produits sont préparés par modification chimique de l’alcaloïde naturel, peu abondant chez Camptotheca acuminata. Une autre source d’extraction est alors recherchée et c’est une Icacinaceae asiatique, Nothapodytes foetida (Wight) Sleumer qui fournit aujourd’hui la majorité de la matière première industrielle. À la fin des années 1990, l'irinotécan et le topotécan sont introduits en thérapeutique pour le traitement des cancers du côlon, de l'ovaire et du sein. L'if du Pacifique |
C'est au cours
d'une campagne de recherche systématique de plantes à activité anticancéreuse,
conduite entre 1962 et 1965, que le National Cancer Institute américain
(N.C.I.) mit en évidence l'activité antitumorale d'extraits d'écorces
de l'if du Pacifique, Taxus brevifolia, une
espèce répartie dans les montagnes côtières de l'ouest de l'Amérique du
Nord, de la Californie à l'Alaska. Les ifs constituent un ensemble d'une
huitaine d'espèces d'arbres, voisins des conifères, originaires de l'hémisphère
nord et connus depuis la plus haute Antiquité pour leur toxicité redoutable.
L'étude chimique des écorces du Taxus brevifolia fut confiée par le N.C.I.
en 1964 au groupe de Monroe Wall qui en isola le principe actif, le taxol
ou paclitaxel, en 1967. |
Taxus brevifolia |
Taxus baccata |
La
structure de ce composé fut déterminée par le même groupe en 1971 et son
mécanisme d'action élucidé par la biologiste Susan Horwitz en 1979. Les
essais cliniques qui suivirent montrèrent l'intérêt thérapeutique du paclitaxel
mais furent très vite entravés par un problème crucial d'approvisionnement
en principe actif. Le paclitaxel est en effet une molécule très complexe
dont la synthèse totale ne peut être envisagée pour une production à l'échelle
industrielle. Ce produit n'est par ailleurs présent qu'en très faible
quantité dans les écorces de l'if du Pacifique, l'obtention d'un kilogramme
de paclitaxel nécessitant de traiter sept à dix tonnes de ce matériel
végétal. Or, la récolte des écorces entraîne la mort de l'arbre dont la
croissance est particulièrement lente, un arbre centenaire ne fournissant
qu'environ trois kilogrammes d'écorces. Il n'était donc pas possible d'envisager
la production de la molécule à des fins thérapeutiques sans faire disparaître
l'espèce. |
Ce groupe montra que les aiguilles de l'if d'Europe, Taxus baccata, source renouvelable, contenaient un composé de la même série chimique, nommé désacétylbaccatine et qu'il était facile de convertir chimiquement ce produit en paclitaxel. Les chercheurs du C.N.R.S. préparèrent simultanément un composé voisin, le taxotère ou docétaxel, qui montra sur les premiers tests une activité encore plus intéressante que celle du taxol. Ces travaux permirent l'évaluation clinique du taxol, qui débuta aux Etats Unis en 1988, puis celle du taxotère en France, à partir de 1991. Les deux produits sont aujourd'hui commercialisés depuis plusieurs années et permettent de traiter certaines formes de cancers du sein et de l'ovaire. |
Taxus baccata |
______________________________________________________________________ Ces quelques exemples montrent l'apport irremplaçable des produits naturels comme modèles pour la recherche de nouvelles molécules d'intérêt thérapeutique. Ils ne doivent cependant pas masquer les difficultés inhérentes à ce type d'approche. La principale d'entre-elles réside dans le choix des échantillons à étudier. Á partir d'une matière première naturelle donnée, les essais biologiques pourront en effet être réalisés, soit sur un extrait brut, soit sur des extraits purifiés, soit encore sur des produits chimiquement définis isolés à l'état pur. Si la dernière solution peut apparaître la plus séduisante d'un point de vue pharmacologique, elle reste peu employée compte tenu de son prix de revient. Beaucoup d'équipes lui préfèrent le fractionnement bioguidé des extraits actifs. Dans tous les cas, l'intérêt majeur des substances naturelles résulte de l'extrême diversité du vivant et du rôle de communication joué par de nombreux métabolites secondaires. Un point mérite d'être souligné, celui de la longueur du processus qui, de la plante aux essais cliniques, permet l'accès à un nouveau médicament. La persévérance des chercheurs est bien souvent l'une des clés du succès, clé de plus en plus mise à mal par des projets à court terme, dépassant rarement quelques années tant dans le secteur privé que dans le secteur public, alors que les études aboutissant à la mise au point d'un nouveau principe actif dépassent, en particulier dans certains domaines comme celui du cancer, bien souvent vingt ans. Un problème supplémentaire est alors celui de la durée de protection que fournit le brevet (vingt ans en Europe) et du risque que fait peser sur la recherche le développement inconsidéré des médicaments génériques. |