Lundi 11 Décembre 2006

La Bière, Alchimie, Chimie ou Art ?

Jean-Paul Hebert
Gwenael Samotyj

ENSIA – Ecole Nationale Supérieure des Industries Agricoles et Alimentaires Massy - Montpellier
Artisan Brasseur


La bière boisson millénaire, universelle, est la deuxième boisson élaborée après le thé dans le monde. Le français, recordman du monde de consommation d’eau minérale est un piètre buveur de bière ; que sont ses 35 litres bus annuellement comparés aux 160 litres absorbés par les Néo-zélandais ou Irlandais ! Pourtant, d’Ushuaia à Tromsö, au delà du cercle polaire norvégien, les brasseries industrielles fabriquent 1,3 milliards d’hectolitres par an. A ces statistiques officielles échappent, pour cause de fisc inquisiteur, les bières autochtones de type dolo en Afrique, chicha en Amérique latine, saké en Asie.

Comment ce breuvage a traversé les millénaires pour être produit aujourd’hui dans des usines à bière d’un million d’hectolitres voire plus comme à Mons à Baroeul, Obernai ou Marseille ? Quels sont les apports de l’alchimie, la chimie dans l’élaboration de cette bière, peut-on encore parler d’art ?

L’origine de la bière ; de l’âge de bière à la naissance de la chimie

Il est évident que la bouillie alcoolisée de l’homme de Cro-Magnon était bien loin de l’or pétillant brillant servi à la pression : pourtant il s’agit à nos yeux, d’une bière au sens générique du terme : à savoir une boisson alcoolisée obtenue à partir d’une source amylacée. L’homme animal omnivore est avant tout un mangeur de féculents, aussi l’homme de chaque région a pu faire preuve d’imagination, de création, pour élaborer une boisson à base de maïs, riz, manioc, igname, mil, banane, orge, etc…

Miracle, ce liquide plus ou moins trouble, que nous appellerons « bière » parallèlement à son côté euphorisant, présentait l’avantage déterminant d’être « sûr », en terme d’innocuité sanitaire. En raison du pH acide, les microbes pathogènes ne peuvent pas se développer. Il ne faut jamais oublier le danger de l’eau, la mortalité due aux maladies hydriques dans les parties déshéritées du globe.

L’origine de la bière est inconnue. Même si les chercheurs chinois rapportent la découverte d’un fossile d’un anthropoïde saoul vieux de 15 millions d’années, les Européens, quant à eux, évoquent les traces archéologiques de la civilisation sumérienne 3 000 ans avant JC : le code d’Hammurabi (1728-1686 avant JC) soucieux de régenter la vie à Babylone évoque la protection du consommateur de bière, en cas de défaillance de l’artisane …elle était simplement noyée ! Quant à la civilisation égyptienne, nombreuses sont les traces de fabrication de bières, boissons offrandes aux Dieux et aux dignitaires mais aussi pain liquide destiné aux constructeurs des pyramides.

En condensant les siècles, nous retrouvons la cervoise tiède d’Astérix. L’étymologie ceres déesse des moissons et vis la force témoigne bien de l’origine céréalière de ce breuvage pour costaud, même si à l’évidence les incontournables gaulois n’utilisaient pas ce terme d’origine latine. Le mot bière qui apparaîtra très tardivement au XVe siècle serait d’origine celte. Après les horions contre les romains, les connaissances progressent, les moines y jouent un grand rôle. La bière des moines contribue non seulement à l’élévation spirituelle mais encore et surtout à la préservation de leur santé et à celle de leurs pèlerins ; la bière la plus hygiénique des boissons était alors une assurance vie contre les microbes véhiculés par l’eau.


Fabrication de bière en Egypte à partir de galettes de malt,
de miel, de sirop de dattes. 1800 ans av JC
Schech el Gurn


Tablette d’argile d’environ 2900 ans av JC découverte à Uruk cité du sud mésopotamien. Elle précise le détail des ingrédients pour fabriquer la bière.


Dès 820, un plan du monastère de Saint Gall en Suisse présente la conception d’une brasserie monacale d’importance. La figure ci-contre présente un moine brassant à la force des bras, le mélange grain et eau sous la protection de la croix des brasseurs. Cette croix, amulette porte bonheur, est interprétée comme symbole de la fabrication de la bière à l’aide des signes alchimiques. Au Moyen Age, la recherche de la pierre (bière ?) philosophale mettait en œuvre les 4 éléments, la terre, l’air, l’eau, le feu pour le grand œuvre. La transmutation du grain solide en moût liquide était alors expliquée par combinaison des éléments, au grain, issu de la terre, l’air et l’eau permettent au grain de germer, pour l’obtention de malt, le feu, chauffant l’eau et le malt permet la saccharification (transformation de l’amidon en sucres) et l’obtention d’un moût, le moût fermentant, libère de la chaleur (feu) et du gaz (air).

La bière des Moines perdure de nos jours auréolée d’une réputation flatteuse à la hauteur de la qualité des bières fabriquées sous le contrôle des pères trappistes de 6 monastères en Belgique et d’un monastère au Pays Bas. Quant aux bières d’Abbaye, elles résultent d’un marketing habile.

Moine Brasseur

 


Après l’alchimie, la chimie, la biochimie

 

Comment ne pas parler d’Antoine Laurent, de LAVOISIER, pauvre fonctionnaire collecteur d’impôt de la royauté, décapité en 1789, sa formule célèbre « Rien ne se perd, rien ne se créé » lui permet d’être considéré comme le fondateur de la chimie. Dans la prolongation des expériences d’oxydation du soufre, du plomb, il distingue les corps simples des corps composés. Il réalise la synthèse de l’eau, ce qui le rend tout de même infiniment moins performant que Saint Arnould le Saint patron des Brasseurs multipliant lors d’un pèlerinage, les chopes de bière.

Joseph GAY-LUSSAC, 1778-1850, quant à lui reste célèbre grâce à sa formule décrivant en 1810, la fermentation alcoolique :

C6 H12 O6 ==> 2 C2 H5 OH + 2 CO2

Son nom est immortalisé par la définition du degré alcool : GAY-LUSSAC.

C’est bien évidemment vers la chimie des êtres vivants, la biochimie, qu’il faut rechercher un apport scientifique induit par les biotechnologues brasseurs et boulangers du XIXe siècle. Les français PAYEN et PERSOZ en 1833 isolent à partir d’un extrait de malt de brasserie « la diastase ». Ce catalyseur organique liquéfie rapidement l’amidon. La première enzyme : (mot apparu en 1878) une amylase était découverte. Pour la suite une série de catalyseurs biochimiques furent isolés : la pepsine (1836, Schwann), l’émulsine des amandes amères (1837 Wöhler et Liebig), la lipase du pancréas (1840 Claude Bernard) l’invertase de la levure (1860 Berthelot). Pourtant, c’est à un physico-chimiste de génie que la brasserie se doit d’une reconnaissance éternelle !

Louis PASTEUR (1822-1895) normalien, a commencé sa carrière comme chimiste. Sa thèse concerne les molécules racémiques et les acides tartriques droits et gauches. C’est bien sûr la découverte d’un rôle des microbes, et la pasteurisation qui l’immortaliseront… A la génération spontanée, défendue par l’allemand LIEBIG, il oppose la notion d’éléments figurés. Travailleur infatigable, il joue un rôle « d’ingénieur conseil » auprès des distillateurs du Nord. Il s’intéresse à la bière par patriotisme. Dans son ouvrage publié en 1876 « Etudes sur la bière », il écrit en préface : « L’idée de ces recherches m’a été inspirée par nos malheurs. Je les ai entreprises aussitôt après la guerre de 1870 et poursuivies sans relâche depuis cette époque, avec la résolution de les mener assez loin pour marquer d’un progrès durable une industrie dans laquelle l’Allemagne nous est supérieure ». Par la suite, il s’intéressera à la maladie des vers à soie. Vénéré comme un Saint laïque il théorisera l’action pathogène des microbes, jettera les fondements de l’hygiène et de la vaccination.

Pour illustrer la fabrication de la bière et le rôle de la biochimie, il conviendrait de reprendre la définition de la bière. Bien évidemment, comme toute activité humaine, le législateur et son corollaire le fisc se sont employés à définir des règles et des impôts. La loi a évolué, en France, au cours des siècles. Au Moyen Age, en cas de disette, il était interdit de fabriquer la bière, les céréales restant dévolues au pain. Le pourcentage d’amylacés susceptibles de remplacer le malt, principalement le maïs ou le riz a évolué. Depuis le 31 Mars 1992, une révolution a eu lieu puisqu’il est possible d’ajouter au houblon « des matières premières aromatisantes qui ne doivent pas excéder 10 % du volume du produit fini ».

Pour illustrer la fabrication de la bière et le rôle de la biochimie, il conviendrait de reprendre la définition de la bière. Bien évidemment, comme toute activité humaine, le législateur et son corollaire le fisc se sont employés à définir des règles et des impôts. La loi a évolué, en France, au cours des siècles. Au Moyen Age, en cas de disette, il était interdit de fabriquer la bière, les céréales restant dévolues au pain. Le pourcentage d’amylacés susceptibles de remplacer le malt, principalement le maïs ou le riz a évolué. Depuis le 31 Mars 1992, une révolution a eu lieu puisqu’il est possible d’ajouter au houblon « des matières premières aromatisantes qui ne doivent pas excéder 10 % du volume du produit fini ».


Schématiquement, la fabrication de la bière correspondant à la transformation sous l’influence d’enzymes de l’amidon du malt en maltose lors du brassage, puis la fermentation du moût sucré sous l’influence de levures dûment sélectionnées. En reprenant le travail de l’ethnologue Bertrand HELL auteur de l’ouvrage : « l’homme et la bière », la bière résulte du travail de l’homme alors que le vin est un don de Dieu.


Cercle des flaveurs regroupant les termes de classe et de premier
niveau recommandés pour la dégustation de la bière.

La bière, un art ? Difficile à croire si on en juge par l’art cinématographique véhiculant l’image d’hommes rudes s’alcoolisant à la bière. La France bicéphale vénère le vin et méprise la bière, alors que d’autres pays européens respectent ce breuvage gambrinal. La devise des brasseurs belges n’est-elle pas : « une bière brassée avec savoir se déguste avec sagesse » ? La dégustation d’une bière requière une culture, un vocabulaire mal connu en France. Les Québécois eux, parlent de goût de moufette pour qualifier une bière « au goût de lumière ». C’est que la bière peut révéler une palette de saveurs et d’odeurs très large. Les levures artistes du goût vont générer au cours de la maturation ou garde de la bière un ensemble de flaveurs décortiquées par les chimistes organiciens sous forme d’acides organiques, d’esters, de cétones d’isohumulones pour l’amertume et suprême plaisir pour la post amertume qualifiée par nos grands-parents de rappel à boire, etc… La législation récente de 1992 offre des possibilités croissantes d’imagination en termes de sensations gustatives. Les puristes regrettent cette évolution de bière cocktail mais les artisans brasseurs ont pu libérer leur créativité. A l’image des bretons précurseurs, la France voit se développer des mini brasseries de terroirs mettant en exergue leur spécificité, les bières aux châtaignes fleurissent en Corse ou en Ardèche, la bière au Génépi dans les Alpes, les bières au sarrazin en Bretagne sans oublier les bières du Sud, la bière des garrigues, la bière au muscat de Frontignan ou au Banyuls. A vous de découvrir la subtilité des arômes générés par les ingrédients et les produits métabolisés par la levure.


Vitrail de Sophie Guinzbourg Musée Français de la Brasserie
54210 Saint Nicolas de Port (photo Claude Philippot)

SAGESSE ET CONSOMMATION
Tant que nous saurons refaire le monde autour
d’une bière, c’est que nous oublierons de vieillir

La bière reste un produit totalement naturel, fruit du travail de l’homme récoltant les céréales, maîtrisant les réactions biochimiques, et les sortilèges de la fermentation. Une bière brassée avec savoir se déguste avec sagesse et n’oubliez pas une bière sans mousse c’est comme un jour sans soleil.

 

LA DEGUSTATION EN FIN DE CONFERENCE

Cette conférence portant sur l'agroalimentaire, il a été nécessaire de faire une dégustation pour juger du bien fondé des dires des conférenciers. C'est ce qui a été fait, la conférence s'est donc finie une chope à la main.
Vous avez, apprécié cet épilogue joyeux durant lequel vous avez pu comparer les goûts de 6 ou 7 bières de qualité, toutes différentes que vous avez consommées, avec modération bien sûr. Cette dégustation vous a été proposée par Simon Thillou, le patron de "La cave à bulles" (45 rue Quincampoix Paris 4ème caveabulles@gmail.com
) qui vous a servi :


Brasserie miniature (G. Samotyj)

- Les bières du conférencier Gwenaël Samotyj : La Belle en Goguette et la Bière du coing que vous pourrez retrouver si vous passez dans le midi (www.brasseriedesgarrigues.fr)

Des artisans brasseurs vous ont offert leus bières :
La Brasserie "La choulette" dans le Nord
(www.lachoulette.com/menu.html)
La Brasserie Artisanale d'Esquelbecq (brasseriethiriez.ifrance.com/)
La Brasserie Uberach (www.brasserie-uberach.com/)

nous les en remercions.

Simon Thillou vous a également proposé
de la St Rieul (Brasserie Saint Rieul)
Gwiniz Du au blé noir (Brasserie de Bretagne)
Pierre Blanche (Brasserie de Saint Pierre)

Enfin, vous pouvez retrouver tous les artisans brasseurs sur le site:
http://perso.orange.fr/yves.bou/brasseries/brasseries_francaises.htm

La dégustation a permis de finir cette année 2006 de façon agréable.


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