Lundi 12 Juin 2006

D'argile et de terre
Grains de bâtisseurs

Henri Van Damme
Laetitia Fontaine
Romain Anger

ESPCI
CraTERRE

 

Poussière de roche et grain de vie, l’argile est une substance aux multiples applications industrielles, médicales et cosmétiques. C’est aussi le ciment de la terre, matière d’architecture pour le tiers des habitants du globe.

(1) La variété des matériaux de construction n’a d’égale que la variété des réalisations architecturales. Parmi ces matériaux, le plus fréquent n’est pas celui qu’on croit. La construction en terre crue fournit à l’heure actuelle un abri à près de 30% de la population du globe et cette proportion ne diminue pas. 20% des œuvres architecturales inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO sont des constructions en terre.


(1-4) Tous les continents ont vu le développement de cette architecture vernaculaire, puisant sa substance sur le site même de construction : l’Afrique (2 : Maroc ; 1 : Togo),

l’Asie (3 : Chine ; 4 : Iran), l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud, l’Europe et, en particulier, la France, qui a vu des régions entières comme le Dauphiné se couvrir de maisons en pisé.


(5) La construction en terre est tout sauf une technique dépassée. Dans certaines régions du monde, le confort qu’elle apporte et son caractère écologique en fait un mode d’habitat, neuf ou rénové, privilégié et prisé (5 :une maison neuve en Nouvelle Zélande).

 


(6-7) La terre n’est pas seulement matériau de construction. C’est aussi une matière de décoration infiniment poignante, en particulier en Afrique subsaharienne.

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(9) Plutôt que de parler de terre, c’est de « béton de terre » qu’il conviendrait de parler. A l’instar du béton de ciment, la terre est en effet un assemblage de granulats divers (cailloux, graviers, sables, limons ou silts) qui doit sa cohésion à une colle qui n’est pas le ciment mais l’argile, la fraction la plus fine du sol.


(8) La terre, couche superficielle ultime de notre globe est un mélange complexe de grains minéraux dont la taille va le plus souvent du domaine centimétrique au domaine micrométrique ou même en deça. Fruit de l’altération des roches, elle est aussi, lorsqu’elle est fertile, le siège d’une intense activité biologique. C’est à l’agriculture que ce milieu minéral et vivant doit être réservé, la construction se contentant alors des couches légèrement plus profondes, exemptes de vie. Compactée, la terre permet de construire des murs solides, isolants, réservoirs thermiques et esthétiques.

 


(10-13) La question est donc : quelles sont les forces qui permettent à ce mélange de présenter des résistances mécaniques permettant de construire, comme au Yemen, des immeubles de plusieurs étages ? Sont-ce des forces capillaires comme dans un château de sable ? L’eau est pour la matière en grains la colle la plus simple qui soit. Dès qu’elle est présente, un tas de sable prend des allures de gratte-ciel.

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Et la cohésion du tas est d’autant plus forte que les grains sont petits.

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Construire une paroi verticale avec du sable sec est impossible. "L'angle de talus reste faible" (en haut).
Si le sable s'écoule dans de l'eau, la montée capillaire verticalise aussitôt l'édifice (en bas).


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Avec un peu d'eau, il est même possible d'assembler un collier de perles sans fil, ici des billes de polystryrène liées entre elles, juste par de petits ponts capillaires.


(14-16) L’argile (ou plutôt, « les argiles », 14), colle de la terre, fonctionnerait-elle sous le même principe ? Avec leurs grains microscopiques en forme de plaquettes, certaines argiles, comme le kaolin par exemple (15), semblent avoir la forme et la taille idéales pour maximiser les forces capillaires et être la colle parfaite, tout en pouvant glisser les unes sur les autres et donner la plasticité recherchée par le céramiste (16).

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Des plaques de verre humide collent entre elles, mais glissent facilement les unes sur les autres, comme les plaquettes de kaolin.


(17-20) D’autres, comme les smectites (17) sont constituées de feuillets tellement minces et flexibles qu’avec très peu d’argile dans de l’eau, on arrive à faire des pâtes très visqueuses (18) ou même des gels (19). En synthétisant ces argiles en laboratoire, on arrive à les rendre suffisamment pures pour les gels deviennent transparents (19). Ces pâtes et ces gels sont des milieux mi-solides, mi-liquides, qui peuvent se fracturer comme du verre ou s’écouler de manière très instable lorsqu’on essaie de les envahir en y injectant un autre fluide (20).

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Ecoulement d'eau colorée dans une fine couche d'argile entre deux plaques de verre.
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(21) Ces mêmes smectites ont une autre particularité : leurs particules sont électriquement chargées. Elles migrent donc dans un champ électrique. Elles peuvent échanger des ions et servir d’adoucisseur d’eau, de dégraissant ou de shampoing. En présence d’eau, elles gonflent comme certains polymères et elles serviront sans doute un jour à confiner nos déchets radioactifs.


(22-23) Mélangées à du sable, les argiles assurent la cohésion du mélange par des forces capillaires dans le cas du kaolin,


Tiré de la thèse de David Gelard

par des forces électriques dans le cas des smectites. Le mécanisme de la cohésion est alors étonnamment proche de celui qui est à l’œuvre dans le ciment.



(25) Poussière de roche et grain de vie, l’argile établit avec l’homme et avec les enfants en particulier une relation charnelle. Quoi d’étonnant à ce qu’elle soit par excellence matière de sculpture et qu’elle soit aussi matière d’architecture pour le tiers des habitants du globe.

(26) Remerciements

Expériences : L’exposé sera émaillé d’une douzaine d’expériences souvent contre-intuitives, comme la construction d’un château de sable sous l’eau par exemple.

Programme 2006