Lundi 24 Avril 2006 Diamant, saphir,
émeraude... Emmanuel Fritsch Université de Nantes - IMN |
Les
pierres précieuses, qu’on imagine parfaites, ont en fait
bien des défauts cristallins. Cependant, ce sont ces défauts
qui bien souvent donnent leur couleur aux gemmes : impuretés chimiques,
trous dans le réseau cristallin, inclusions minérales…
Les couleurs obtenues sont parfois vives et parfois changeantes avec l’épaisseur,
la lumière ou la chaleur. Les exemples illustrés ci-dessous,
particulièrement spectaculaires, ne sont qu’un simple aperçu
de la diversité des causes de coloration dans les minéraux
et gemmes. |
|
Le quartz
est un bon exemple de minéral parfaitement incolore quand il est
dépourvu de défauts. Le quartz, SiO2, contient
souvent de petites quantités d’aluminium trivalent en substitution
du silicium. Même alors, il reste incolore. Cependant, une simple
irradiation par des rayons gamma déplace les atomes à l’intérieur
du réseau cristallin, modifiant alors les charges électroniques
associées à l’aluminium : les groupements [Al04]4-
jouent alors le rôle de centres colorés responsables de la
couleur brune à noire du quartz enfumé (figure 1).
|
|
Des impuretés
de fer peuvent être responsables d’autres couleurs dans le
quartz : le fer tétravalent, Fe4+, associé à
l’oxygène du quartz, est responsable de la couleur violette
de l’améthyste, par l’intermédiaire d’un
phénomène de transfert de charges électroniques.
Si on chauffe une améthyste à quelques centaines de degrés
Celsius, elle devient jaune-orangé (c’est une citrine) car
le degré d’oxydation du fer a été modifié
par la chaleur : il est passé de Fe4+ à Fe3+.
Ce changement de couleur est irréversible (figure 2), et est très
largement utilisé par les exploitants d’améthyste
qui préfèrent vendre de la citrine. Ce type de traitement
thermique, qui modifie irrémédiablement la couleur, est
appliqué à de nombreuses autres gemmes comme la topaze,
qui peut passer d’orange à rose par chauffage modéré. |
Les impuretés chimiques sont très souvent responsables de la couleur dans les minéraux et gemmes. Une même impureté peut cependant donner plusieurs couleurs : c’est le cas du chrome trivalent (Cr3+), qui donne la couleur verte à l’émeraude (figure 3) et la couleur rouge au rubis (figure 4). Figure 3 : l’émeraude est colorée en vert par l’ion Cr3+. Son spectre d’absorption de la lumière visible montre qu’il absorbe le rouge et le bleu, et qu’il transmet le vert. |
|
En effet, le site cristallographique qui héberge l’impureté colorante n’a pas les mêmes dimensions dans ces deux cas, la lumière est donc absorbée différemment par l’ion Cr3+. Les spectres d’absorption de la lumière par l’émeraude (figure 4) et par le rubis (figure 4) sont très semblables (deux bosses d’absorption assez larges), pourtant ils sont légèrement décalés sur le spectre de la lumière visible : les lumières absorbées et transmises ne sont donc pas les mêmes dans chaque cas. Figure 4 : Le rubis est coloré en rouge par l’ion Cr3+ également. Son spectre d’absorption est très proche de celui de l’émeraude, mais décalé en longueur d’onde : dans ce cas, le chrome absorbe le vert et transmet le rouge et une partie du bleu. C’est ainsi que l’émeraude transmet le vert et absorbe le rouge, et le rubis absorbe le vert et transmet le rouge. On note que le rubis transmet également le bleu, mais moins que le rouge : c’est pourquoi notre œil perçoit la teinte rouge dominante. |
|
Le cas du chrysobéryl alexandrite est surprenant : cette gemme est également colorée par Cr3+, mais la dimension du site cristallographique qui l’héberge est intermédiaire entre ceux de l’émeraude et du rubis. C’est pourquoi l’alexandrite peut apparaître à la fois verte et rouge… sous un éclairage incandescent (comme une bougie ou une lampe à incandescence), qui contient peu de radiations bleues, une alexandrite apparaît rouge, alors qu’à la lumière du jour, beaucoup plus riche en lumière de haute énergie comme le bleu et l’ultraviolet, la même pierre apparaît verte. Les deux fenêtres de transmission (dans le vert et dans le rouge) observées sur le spectre d’absorption de l’alexandrite (figure 5) explique ce phénomène spectaculaire. Ce phénomène, initialement observé sur l’alexandrite, s’observe dans quelques autres minéraux comme certains grenats, et porte le nom générique d’effet alexandrite. Figure 5 : Le spectre d’absorption de l’alexandrite est intermédiaire entre celui du rubis et de l’émeraude : elle transmet donc efficacement le rouge, bien visible en éclairage incandescent, et le vert, bien visible à la lumière du jour. |
|
Si certains changements de couleurs dus à la température sont irréversibles (comme le passage de l’améthyste à la citrine), d’autres sont parfaitement réversibles. C’est le cas du défaut responsable de la couleur vert-de-gris de certains diamants, qui, chauffés à quelques centaines de degrés, voient leur couleur passer au jaune ou orange. C’est le spectaculaire effet « caméléon », illustré sur la figure 6. Figure 6 : les diamants « caméléons » voient leur couleur passer de vert-de-gris à température ambiante, à jaune-orangé à quelques centaines de degrés Celsius. Ce changement de couleur est parfaitement réversible. Beaucoup de gemmes sont colorées par l’intermédiaire d’inclusions microscopiques de minéraux intensément colorés, dispersés dans la gemme : c’est le cas par exemple des micas verts du quartz aventuriné, ou des petites plaquettes de cuivre du feldspath dit « pierre de soleil ». On voit donc que la qualité des gemmes, quand on parle de couleur, vient de leurs défauts !
|