Lundi 23 Janvier 2006

La chasse aux traces...
de pollution

Marie-Claire Hennion
Valérie Pichon

ESPCI

 

Des milliards de molécules sont présentent dans notre environnement quotidien. Certaines résultent de l’activité humaine, d’autres sont produites de manière naturelle. Si la plupart sont en très faibles teneurs et non toxiques, certaines imposent un suivi en raison de leur effet à plus ou moins long terme sur notre santé.
L’analyse de ces molécules relève souvent de la recherche du trèfle à quatre feuilles : on recherche une molécule ou un groupe de molécules à de très faibles niveaux de concentration dans un échantillon composé de nombreuses autres espèces chimiques souvent en concentration bien plus importante.
La multitude de molécules contenue dans un échantillon impose de disposer d’outils permettant de trier ces molécules afin de les séparer et ainsi de les identifier individuellement. Pour ce faire, on utilise la technique dite de chromatographie. Celle-ci repose sur l’utilisation d’une colonne (tube métallique) contenant un support solide (appelé phase stationnaire) capable de générer des interactions chimiques avec les composés d’intérêt pour les retenir et d’un solvant (appelé phase mobile) entraînant les composés à travers la colonne (Figure 1). Les composés, injectés en mélange sur le support, se déplaçant plus ou moins vite en fonction des forces d’interaction qu’ils sont capables de créer avec le support, sortent de la colonne les uns après les autres et donc séparément. L’introduction dans le dispositif d’un détecteur en sortie de colonne permet alors d’identifier et de quantifier individuellement les composés grâce à l’exploitation des signaux obtenus.

Figure 1 : Principe d’une séparation chromatographique : (1) injection du mélange, (2) migration des composés dans la colonne, (3) élution des composés un à un. Obtention d’un chromatogramme reflétant la sortie des composés de la colonne à des temps d’élution différents.

Si ces techniques ont connu une évolution importante ces dernières années à travers la synthèse de phases stationnaires de plus en plus performantes et le développement de détecteurs de plus en plus sensibles et spécifiques, la complexité des échantillons et les faibles teneurs recherchées impliquent de recourir à une étape préalable de concentration notamment pour le suivi de pollution dans les eaux.
Cependant les techniques de concentration qui mettent souvent en jeu des solvants organiques ou des phases stationnaires proches de celles utilisées en chromatographie concentrent souvent un grand nombre de molécules constituants l’échantillon rendant difficile le recherche du ou des composé(s) d’intérêt pour le(s)quel(s) le signal du détecteur apparaît masqué par de nombreux autres signaux émanant de la présence de ces autres composés.
Pour obtenir des signaux plus facilement exploitables, il apparaît important d’introduire de la sélectivité dans la procédure analytique. Une des possibilités peut consister à exploiter une des interactions les plus sélectives: l’interaction antigène-anticorps (Figure 2).

Figure 2 : molécule (en vert) piégée par l’extrémité de la chaine lourde (en rouge) et de la chaine légère (en bleu) qui compose un des deux sites de reconnaissance antigènique d’un anticorps (IgG).


En effet, il est possible de produire des anticorps spécifique d’une molécule ou d’une famille structurale et d’utiliser ces anticorps alors immobilisés sur un support solide comme phase stationnaire sélective : seules les molécules reconnues par les anticorps seront retenus sur le support lors de la mise en contact avec l’échantillon permettant ainsi l’élimination d’autres substances.
Une approche similaire consiste à créer par voie chimique un support possédant des cavités dont la forme correspond à l’image inverse de la (ou les) molécule(s) recherchée(s) de la même manière qu’une clé correspond à une serrure donnée. Il s’agit donc de reproduire par voie chimique un site de reconnaissance antigènique. La synthèse de ces supports appelés polymères à empreintes moléculaires est décrite en figure 3.

Figure 3 : Principe de synthèse d’un polymère à empreintes moléculaires. Schéma adapté de K. Haupt, Anal. Chem. 2003.

Ces deux types de supports permettent ainsi un traitement sélectif de l’échantillon avant l’analyse de celui-ci par chromatographie. Le potentiel de ces supports est illustré dans le cadre de l’analyse d’un sol qui, dans le cas de son analyse directe par chromatographie conduit à un signal difficilement exploitable (Figure 4a). En revanche l’utilisation du support à empreintes moléculaires (figure 4b) ou à base d’anticorps (Figure 4 c) permet l’extraction des trois composés recherchés pour lesquels un signal facilement exploitable est obtenu.

Figure 4 : Analyse d’une extrait de sol (dans lequel sont recherchés trois pesticides) par chromatographie :

(a) sans étape de purification préalable sur polymère à empreintes moléculaires
(b) ou avec étape de purification préalable sur polymère à empreintes moléculaires

(c) ou support à base d’anticorps



Ce résultat montre l’importance de développer des outils sélectifs pour rendre l’analyse plus fiable. De plus, ces supports permettre d’extraire de nombreux composés d’une même famille structurale. Ainsi, appliqués à des toxines connues, d’autres toxines non répertoriées peuvent ainsi être mises en évidence et permettre de prévenir ainsi des risques de santé publique par l’ajout de ces nouvelles espèces lors des procédures de contrôle. D’autres supports de ce type permettant de piéger des molécules en exploitant non pas la reconnaissance structurale mais leur activité vis-à-vis de notre organisme, tels que les perturbateurs endocriniens, seront présentés.

 

Programme 2006