Lundi 6 Juin 2005 Des odeurs et des goûts : par Roland Salesse INRA-Biotechnologies |
L'étude des sens chimiques (olfaction ou odorat, gustation ou goût, perception des phéromones) a connu une révolution à la charnière du 20e et du 21e siècles, symbolisée par l'attribution du Prix Nobel de Physiologie et de Médecine à deux chercheurs états-uniens, Richard AXEL et Linda BUCK. Quelle est donc leur contribution ? C'est d'avoir, en 1991, découvert les récepteurs olfactifs, c'est-à-dire les molécules biologiques qui sont capables de reconnaître les produits chimiques odorants et de transformer le signal chimique en un signal nerveux "compréhensible" par le cerveau. A vrai dire, ces résultats étaient attendus depuis longtemps car les conceptions en vigueur dans le domaine de la perception des molécules à signification biologique (ici les odeurs, mais aussi les hormones, les facteurs de croissance, les neuromédiateurs) impliquent l'existence de récepteurs, c'est-à-dire de molécules protéiques dont la structure tridimensionnelle (c'est-à-dire structure en trois dimensions) s'ajuste à la forme de la molécule à capter. Mais il existe toutefois une grande différence entre un récepteur olfactif et un récepteur hormonal (par exemple le récepteur de l'insuline) : c'est que le récepteur hormonal est configuré pour capter un et un seul message d'une seule molécule, l'insuline, alors que, dans l'espace des odeurs, il y a tellement de produits chimiques odorants (dizaines ou centaines de milliers) qu'il était difficile d'imaginer que le génome des mammifères, limité à 30000 gènes, puisse héberger des dizaines de milliers de gènes codant chacun un récepteur olfactif. Ce paradoxe apparent a été résolu au cours de la dernière décennie où l'on a pu montrer qu'un récepteur olfactif peut reconnaître plusieurs molécules odorantes et qu'une même molécule odorante peut être reconnue par plusieurs récepteurs olfactifs. Cette reconnaissance à base combinatoire génère très rapidement un grand nombre de possibilités de discrimination, si bien qu'un répertoire de 350 gènes de récepteurs olfactifs (ce qu'on trouve chez l'Homme) génère plusieurs millions de possibilité d'identification si chaque récepteur peut capter trois substances odorantes différentes. La découverte de Axel et Buck a permis de générer des outils moléculaires (c'est-à-dire des séquences d'ADN ou des anticorps) qui, utilisés comme marqueurs, on permis de reconstituer les premières étapes de la génération du message olfactif. |
L'épithélium olfactif tapisse le haut de la cavité nasale (figure 1). Il contient en particulier des neurones olfactifs qui portent les récepteurs olfactifs. La particularité essentielle chez les mammifères est qu'un neurone olfactif n'exprime qu'un seul récepteur olfactif parmi les 350 du répertoire, si bien qu'un neurone n'est stimulé que par un ensemble restreint d'odeurs. Les axones (prolongements) de tous les neurones isoréceptifs (qui expriment le même récepteur olfactif) convergent, dans le bulbe olfactif, vers un seul glomérule qui est connecté (synapse) à une seule cellule intégratrice qu'on appelle cellule mitrale. L'épithélium constitue donc un capteur en réseau dont les senseurs équivalents (neurones isoréceptifs) concentrent leur information vers une seule synapse, augmentant ainsi la sensibilité et la spécificité. On comprend que chaque produit odorant génère un patron spécifique d'activation des glomérules et des cellules mitrales dans le bulbe, générant ainsi une carte sensorielle "lisible" par le cerveau. Le sens du goût est supporté par la langue, plus précisément dans les papilles gustatives qu'on voit à l'œil nu à sa surface. Ces papilles portent de minuscules poches appelées "bourgeon du goût" remplies de cellules gustatives qui, comme les neurones olfactifs, possédent des récepteurs, mais cette fois des récepteurs aux cinq goûts familiers : sucré, amer, acides aminés (dont le goût du glutamate, c'est-à-dire le goût "umami" de la soupe orientale), acide et salé. Le système gustatif a connu sa révolution moléculaire un peu plus tard que le système olfactif, mais on connaît désormais les récepteurs du goût sucré, qui ne comptent que deux gènes, et les récepteurs du goût des acides aminés, eux aussi au nombre de deux. Les récepteurs du goût amer sont plus nombreux, une cinquantaine environ. Quant aux récepteurs du goût salé et du goût acide, on pense que ce sont des canaux ioniques. Un tel nombre de gènes impliqués dans les sens chimiques indique évidemment une importance particulière aussi bien pour les individus que pour l'espèce et l'on sait qu'un grand nombre de comportements (reproducteurs, alimentaires, sociaux) sont, même chez l'Homme, à base de reconnaissance de messages chimiques disséminés dans l'environnement. Un tel nombre de gène suppose aussi une grande diversité génétique (polymorphisme) d'un individu à l'autre et que, dès les premiers niveaux de la perception chimique, on puisse avoir des avis divergents sur les odeurs et les goûts ! |