Lundi 18 Avril 2005

Le génie des pyramides

par Pierre Crozat (Architecte)

Institut Polytechnique de Lorraine

 

Depuis bientôt 5000 ans qu'elles furent édifiées, le mode de construction des pyramides d'Egypte demeure, aujourd'hui encore, une véritable énigme, que les technologies contemporaines sont incapables de résoudre.


Vue aérienne des trois grandes pyramides sur le plateau de Gizeh :
Chéops, Khéphren et Mykérinos (droite à gauche)


Ce domaine est encombré de nombreuses « théories » : machinistes, rampistes et mixtes - pour ne garder que les plus connues - qui se contredisent ; aucune ne pouvant satisfaire pleinement à la compréhension. Les théories mixtes (synthèse des rampistes et machinistes), faciles à comprendre, semblent, aujourd’hui, les plus admissibles bien que n’étant pas très convaincantes, mais que l’égyptologie perpétue néanmoins, faute de mieux. Aucune d’entre elles n'offre une approche véritablement rationnelle, pas plus qu'un quelconque élément de preuve tangible.

Or, la réponse à cette énigme ne peut pas plus être fournie par l’égyptologie ; l’égyptologie, en effet, principalement orientée vers la littérature, l’histoire, l’épigraphie et l’archéologie (particulièrement en France, dû à l’héritage de Champollion) n’a, certes pas, pour vocation première d’expliquer la construction des pyramides quoique certains égyptologues parmi les plus grands s’y soient attachés. Elle en demeure toujours étrangère, car ce domaine réclame des compétences «techniques » en matière de construction d’ouvrages qui relèvent de l’art de bâtir, enrichies des connaissances de l’histoire et de la pratique de l’architecture et de l’ingénierie ainsi que des modes opératoires des Savoir-faire traditionnels des Métiers de la pierre.

A cet égard, l’approche et la démarche instaurées ici, vont dans ce sens : en prenant le recul nécessaire, le sujet peut être rationalisé en proposant une recherche de fond sur les méthodes de construction des pyramides et leur évolution, guidé par la logique logistique de la pratique de la mise en œuvre : état de la question, analyse critique des différentes « théories », détermination des principes fondamentaux de l’Art de bâtir, énoncé d’hypothèses ou postulats, recours à l’outil scientifique de la modélisation, développements parallèles et/ou connexes, et vérifications objectives par une équipe élargie.

« Le génie des pyramides » (thèse de doctorat en Génie Civil), offre « un regard neuf et décapant » et, « une démonstration faite sur la pyramide de Kheops particulièrement brillante – un système ingénieux et convainquant – un apport majeur à l’étude des plus anciennes constructions monumentales en pierre ».

Il développe une vision généraliste et pragmatique du constructeur praticien expérimenté, selon une démarche rationnelle : scientifique, technique et opératoire qui impose sa prise en considération par la communauté scientifique et constitue un apport extérieur essentiel à l’égyptologie.

Elle se fonde sur 3 principes universels de l’Art de bâtir :

- principe du vernaculaire : les ouvrages d’architecture – et surtout les ouvrages tumulaires du génie civil – sont réalisés avec les matériaux disponibles sur place, seules quelques pièces spéciales proviennent d’ailleurs,
- principe d’évolution : les pyramides d’Egypte se situent dans une continuité évolutive des méthode, des savoir-faire et des outils technologiques, portée par la tradition, qu’il faut aller reconnaître,
- principe d’économie : l’intelligence du travail humain est régie par la règle d’économie d’effort et de moyen, vision logique logistique – nécessaire et suffisante - de celui qui réalise par lui-même (et non-pas celui qui observe).


Trois aspects sont particulièrement novateurs :


1. Mise en évidence d’un « système constructif » :

La modélisation du mode de construction de la Grande Pyramide décrit par Hérodote , met en évidence un « système de gradins successifs », basé sur un simple mouvement élévatoire récurrent (correspondant à un algorithme) : élever et poser un bloc (crossai) sur deux autres (bomides), à l’aide d’une « machine faite de courtes pièces de bois » : levier sur un trépied, générant « un créneau formant escalier » (dixit Hérodote).


Extraits de la simulation informatique du mode de construction « machiniste » par « accroissement pyramidal »

La pyramide se construit par « accroissement pyramidal », bloc par bloc, face par face, par enveloppes successives « en pelures d’oignons » ; les couloirs et chambres sont induits par le système.
Celui-ci permet de construire, par anticipation sur une face, à ciel ouvert, un faisceau de rampes (angle 50% induit par l’algorithme) sur lequel seront glissés et mis en place les 52 monolithes de granite de la chambre du Roi – de 30 à 60 tonnes situés entre 45 à 65 m de hauteur -; la Grande Galerie apparaît alors dans un rôle utilitaire : espace de manœuvre du contre-poids – constitué des futurs blocs tampons – d’un « ascenseur oblique » réalisé à cet effet.


Schéma de fonctionnement « utilitaire » de la Grande Galerie de la pyramide de Khéops

En résumé :
Le texte d’Hérodote, demeuré hermétique jusqu’alors, est ainsi explicité et corroboré ; le procédé de construction des Grandes Pyramides est un « système constructif » de type « machiniste », à l’opposé des théories « rampistes » et « mixtes » prônées par la plupart les égyptologues aujourd’hui.
2. Emprunt « alentour » des matériaux fournis par le site :

Les blocs cyclopéens : calcaire nummulitique Lutétien, empruntés « alentour » au plateau, de hauteurs variées (selon les bancs - strates), nécessiteront un « appareillage horizontal à décrochement » (économie en travail et matériaux) ; la géologie du plateau de Gizeh indique – par ses failles - un pli anticlinal orienté NE – SO (en Nord 45°) faisant affleurer ce gisement particulier Lutétien, qualifié de « pierre à bâtir »; le réseau de fracturation naturelle des diaclases diagonales , permettant l’exploitation plus ou moins directe des bancs - strates (blocs unitaires) en carrière horizontale, serait orienté N-S et E-O.


Schéma de simulation de l’implantation et orientation des pyramides par rapport au réseau théorique de fracturation du plateau de Gizeh.

Les pyramides seront donc implantées sur le sommet et parallèlement à l’axe du pli (N 45°)et orientées - diagonalement - sur la fracturation la plus fine (donc N-S et E-O) qui pré-découpe, en partie, les blocs .

En résumé :
Les pierres de construction du gros-œuvre (98% du volume) sont empruntées au site ; l’implantation et l’orientation des 3 Grandes Pyramides de Gizeh seraient dues à la géologie : stratigraphie - tectonique et à la fracturation naturelle des roches induite et non pas à l’astronomie comme le laisse entendre nombre d’égyptologues.

3. Reconnaissance d’une « évolution » technique :

D’une façon générale, pour l’ensemble des Ouvrages tumulaires, les matériaux constitutifs sont empruntés « alentour » aux sites d’implantation ; seuls certains monolithes et le revêtement éventuel seront, par nécessité technique et/ou esthétique, d’une autre provenance.


Ouvrages Tumulaires : aire de battage, dolmen et cairn, etc., ils sont constitués des matériaux empruntés au site

L'analyse des caractéristiques géologiques des sites d'implantation permet d'ordonner et d'expliciter l'évolution des procédés de leur construction qui participent d'un "continuum technique" de l'Art de Bâtir.
L’étude des ouvrages préhistoriques : cairns, dolmens, tumulus, oppidums, etc., nous renseigne sur l’évolution de la méthode « d’accrétion-exhaussement » employée dans les pyramides à degrés d’Égypte.


La Pyramide à degrés de Djoser à Saqqarah est constituée des murs accolés par « accrétion-exhaussement

Ce mode « générique » de la construction par degrés : méthode « d’accrétion-exhaussement » est mis en évidence par l’examen des ouvrages mineurs du Génie rural, issu du Vernaculaire (épierrements).

La méthode « d’accroissement pyramidal » des grandes pyramides correspond à une avancée technologique et intellectuelle : l’invention de la « machine » capable de manœuvrer des blocs cyclopéens de 2,5 tonnes et du « système constructif» (algorithmique) qu‘elle génère.

En résumé :
La forme des différentes pyramides : à degrés, lisses ou à texte, est générée par le « le système constructif » utilisé, lui-même induit par les caractéristiques dimensionnelles de matériaux fournis par le site. Le choix du site est alors fonction de la présence de matériaux utilisables par rapport à l’outillage à disposition ; les Grandes Pyramides constitueront une avancée technologique par l’invention de la « machine » capable d’élever les blocs de 2,5 tonnes, d’un gradin sur l’autre.


Conclusion :
Les pyramides d’Égypte se construisent à partir du centre de la base, par « accrétion exhaussement » (pyramides à degrés) puis « accroissement pyramidal » volumique (grandes pyramides) et doivent être comprises dans le « continuum technique » des Ouvrages tumulaires et de l’Art de bâtir.


Pyramides à degrés : tableau comparatif des solutions proposées

La compréhension du mode de construction n’est pas du domaine de la « géométrie » des formes élémentaires (vision externe des observateurs - Grecs Ioniens) mais de celui de la « logistique ou algorisme » cumulatif, véritable « pratique-pensée œuvrière » archaïque qui les génère (vision interne des constructeurs - Égyptiens et Sumériens).


 

Programme 2005