Lundi 26 septembre 2011

Un micro-billard à cellules pour combattre le cancer

Jean-Louis Viovy
Laurent Malaquin
François- Damien Delapierre
Julien Autebert

Institut Curie

 

"Ephesia": Un "billard à cellules" pour combattre le cancer.
Institut Curie, UMR168 CNRS/institut Curie/Université Pierre et Marie Curie et Département d'Oncologie Médicale

Les laboratories sur puces ou systèmes "microfluidiques" sont actuellement un domaine en pleine émergence, empruntant aux progrès fantastiques accomplis au cours des vingt dernières années dans le domaine des micro et nanosystèmes électroniques. De fait, l’approche des laboratoires sur puces tente d’appliquer aux analyses biologiques le principe qui a donné lieu aux microprocesseurs, à savoir l’intégration sur un support unique microfabriqué, de l’ensemble des processus nécessaires à l’analyse d’un produit. Dans le domaine de la biologie et de la médecine, ce changement de paradigme va apporter des modifications majeures, en combinaison avec la génomique et la biologie des systèmes, dont il constitue le partenaire technologique incontournable.

Pour être à la hauteur de ces enjeux, la microfluidique se heurte à de nombreux défis. En effet, si la microélectronique manipule l'information transportée par des courants électriques, c'est à dire des électrons tous identiques, la microfluidique manipule directement des objets biologiques (cellules, molécules) et l'information qui est "codée" au sein de ceux-ci. Ces objets biologiques sont beaucoup plus complexes que les électrons, ils présentent chacun sa propre "personnalité", qui va induire des comportements différents et spécifiques vis à vis des matériaux constituant les puces, des rayonnements qui vont servir à les analyser. Les cellules ou molécules biologiques présentent également entre elles des interactions bien spécifiques, qui vont permettre de les identifier et de les "décoder", mais sont également une source supplémentaire de complexité. On comprend donc que le développement de ces "laboratoires sur puces" implique le travail coordonné d’équipes très interdisciplinaires, combinant des compétences en microfabrication, physicochimie, biochimie, chimie analytique, traitement du signal, automatisme.

On illustrera cette démarche à travers une application médicale développée à l’Institut Curie, le diagnostic cellulaire du cancer : aujourd’hui 90% des décès liés à cette maladie sont le fait des métastases, dues à la dissémination de cellules dans le sang à partir d’un cancer primaire vers des sites multiples dans d’autres organes. Ces métastases on "cancers secondaires" sont souvent résistants aux traitements ayant permis de traiter les cancers primaires, il ne suffit donc pas de caractériser ce dernier pour connaître le traitement le plus efficace pour éviter les récidives. Il faudrait donc caractériser ces cellules "pionnières", afin de déterminer le meilleur traitement capable de les éliminer avant qu'elles ne subissent l'évolution, souvent longue et invisible, qui les transformera en métastases. Le premier défi est ici leur rareté. En effet, les premières études cliniques dans le domaine montrent qu'un patient présentant seulement une cellule cancéreuse par millilitre de sang (soit au sein de plusieurs milliards de cellules normales) a déjà un risque significativement accru de développer des métastases.

A l'Institut Curie, nous développons en partenariat avec plusieurs laboratoires et hôpitaux étrangers et une startup localisée à Paris, Fluigent, un système microfluidique capable de capturer les cellules tumorales dans le sang ou dans des microbiopsies, puis d'effectuer leur caractérisation moléculaire et de proposer ainsi aux cliniciens une "carte d'identité" qui leur permettra de prescrire le meilleur traitement. Cette caractérisation prend de plus de plus d'actualité, avec le développement de "thérapies ciblées" de plus en plus pointues et de stratégies de "médecine personnalisées".

Cette méthode microfludique utilise une sorte de "tamis" microscopique de billes magnétiques porteuses d'anticorps dirigés contre les cellules tumorales, qui vont donc les attraper de façon spécifique (Figures). Des techniques de biologie moléculaire permettent ensuite d'identifier les mutations spécifiques dont ces cellules sont porteuses, et qui vont servir de cible à des médicaments adaptés.

Figure 1: Shéma de principe de la technologie "Ephesia", qui permet de capturer spécifiquement des celllules cancéreuses pour effectuer leur caractérisation moléculaire

Figure 2: Images d'une cellule normale du sang (globule blanc), à gauche, et d'une cellule cancéreuse (cellule tumorale de cancer du sein), à droite, prises dans le système Ephesia après leur capture. Les cellules ont été marquées avec des molécules fluorescentes qui représentent respectivement un marqueur spécifique des lymphocytes (CD45, en vert), un marqueur de cellules tumorales du sein (cytokératine,n en rouge), et un marqueur de l'ADN (en bleu). On voit clairement la différence de marquage du cytoplasme des cellules en vert ou en rouge selon le type de cellule. On voit également que le noyau (en bleu) de la cellule tumorale est altéré, avec une répartition de l'ADN beaucoup plus hétérogènes que pour la cellule normale.

Références bibliographiques.
[1].. F.C Bidard et coll: Celllules tumorales circulantes et cancer du sein: techniques de détection et résultats cliniques, Bulletin du Cancer, 96, 1, 73-86 (2009)
[2] Microfluidic Sorting and Multimodal Typing of Cancer Cells in Self-Assembled Magnetic Arrays, Saliba AE et al., Proc. National Acad Sci USA, 107, 14524-529 (2010)

Programme 2011