Lundi 14 mars 2011

Les malices de plic et ploc,
gouttes et perles en mouvement

David Quéré
Elise Lorenceau

ESPCI ParisTech
Université de Marne la Vallée

 

 

Les gouttes sont souvent de placides lentilles, qui pourtant s’accrochent opiniâtrement à leurs supports. Or sous cette observation naïve se cache un problème bien réel : en adhérant ainsi à un verre (pare-brise, vitrage), les gouttes déforment la vision à travers ce verre, jusqu’à parfois l’opacifier (cas d’une buée) ; en se collant à un béton ou à un métal, elles participent à sa corrosion et à son vieillissement ; et que dire des huiles coincées dans nos vêtements ou dans les pores d’un champ pétrolifère ? Bref, dans bien des cas, on voudrait que les gouttes s’évacuent d’elles-mêmes, alors même qu’une pente souvent n’y suffit pas.

Il existe à ce problème une classe de solutions nouvelles qui est l’auto-propulsion. Si on place les gouttes dans un « paysage » asymétrique, ou si l’asymétrie provient d’un constituant qu’elles contiennent, un mouvement peut se produire qui, idéalement, emmènera ces lentilles dans une direction bien définie, et à une vitesse bien contrôlée. Il s’agit donc de comprendre comment engendrer de telles situations et activer les gouttes, même quand elles sont rétives au mouvement, à cause de leur capacité à s’accrocher aux défauts des solides sur lesquels on les place.


Les gouttes de Yoshikawa (découvertes à Kyoto en 2005) avancent
en détachant les tensioactifs adsorbés sur leurs supports


On peut distinguer deux grandes familles de possibilité : l’asymétrie peut être d’origine chimique, ou géométrique. Dans le premier cas, l’expérience de base consiste à placer une goutte sur une discontinuité chimique : alors le liquide ira spontanément envahir la région la plus hydrophile, tirée par les forces capillaires. Ce mouvement est en général modeste, et il s’agit de comprendre comment amplifier cet effet, de façon à engendrer des déplacements à des échelles beaucoup plus grandes que celle de la goutte. On peut aussi montrer que ces gradients chimiques permettent même au liquide de remonter des pentes, un comportement toujours réjouissant à voir, tant pour nous les liquides se caractérisent par leur sujétion à la pesanteur.

Heiner Linke a découvert en 2006 qu’une goutte d’eau placée sur un support très chaud (300°C)
couvert d’écailles avance en « remontant » la marche des écailles, et ce sur des dizaines de mètres !

Nous tenterons d’expliquer ce phénomène très intriguant.
Mais la géométrie permet aussi de faire avancer des liquides sur des substrats homogènes chimiquement. Ainsi, un liquide dans un coin aura-t-il tendance, quand il est mouillant, à rechercher la zone la plus confinée du coin. Ce phénomène, dont une des manifestations est la montée capillaire, est utilisé par un oiseau des bords de l’Arctique pour se nourrir : le phalarope pêche ses proies encapsulées dans des gouttes d’eau, que la géométrie de son bec (alliée à une astuce supplémentaire qui sera révélée aux courageux qui viendront le 14 mars) permet de faire voyager jusqu’au gosier.

Le phalarope se nourrit goutte-à-goutte et la géométrie de son bec lui permet d’acheminer son repas de la pointe
jusqu’au gosier sans l’aspirer (une solution qui serait désastreuse d’un point de vue énergétique).

(Clichés Robert Lewis)

Programme 2011