Lundi 12 avril 2010 Des grains à la pâte Michel Cloitre ESPCI ParisTech |
L'argile du potier, les émulsions, les encres sérigraphiques, les pâtes dentifrices, partagent beaucoup de propriétés étonnantes. Solides au repos, liquides sous sollicitation, ces matériaux glissent en avalanches sans se déformer, ou au contraire s'écoulent comme des liquides, se fracturent, vieillissent sur des temps très longs. Leur connaissance est la clé de la réussite dans les applications et jette un éclairage nouveau sur la physique des matériaux désordonnés. |
En dépit de leur grande diversité, les matériaux pâteux présentent de nombreux comportements génériques. Ce sont des matériaux cohésifs qui se comportent comme des solides élastiques lorsqu’ils sont peu déformés mais qui peuvent se déformer ou même s’écouler lorsqu’on leur applique une grande déformation. Ces propriétés les distinguent des solutions de polymère viscoélastiques ou des milieux granulaires qui sont en général non cohésifs. Un microscope suffit en général à explorer la structure de la plupart des pâtes à l’échelle de leurs constituants. Nous découvrons alors que les pâtes sont constituées de particules solides ou déformables dispersées dans une phase continue qui peut être un solvant ordinaire ou un milieu complexe contenant des polymères, des tensio-actifs, … ou d’autres particules. L’art de la formulation consiste à ajuster les interactions entre la phase dispersée, les « grains », et la phase continue, le « liant », pour obtenir la cohésion, l’élasticité et les propriétés d’écoulement requises. Cette problématique est bien illustrée sur la figure 1 dans le cas d’un matériau cimentaire. Le ciment sans adjuvant se comporte comme un milieu granulaire humide dépourvu de cohésion. L’ajout d’un adjuvant polymère le transforme en une pâte cohésive et élastique qui peut être mise en forme facilement et utilisée dans de nombreuses applications. Cette problématique est au centre du développement des matériaux nouveaux dans l’industrie du bâtiment ou de la fabrication des céramiques.
Les particules ne sont pas toujours rigides et indéformables comme dans cet exemple. L’exemple le plus courant est celui des émulsions concentrées qui sont obtenues en dispersant finement de l’huile dans l’eau en présence d’un tensio-actif. Les gouttelettes d’huile, dont la fraction volumique dépasse celle de l’empilement compact, se déforment pour satisfaire les contraintes stériques, et adoptent une forme polyédrique (figure 2). Les émulsions tirent la plupart de leurs propriétés statiques et dynamiques de cette structure encombrée et facettée.
Actuellement les techniques de synthèse chimique permettent d’obtenir une grande diversité de particules hybrides colloïde-polymère déformables: particules chevelues, polymère en étoiles, microgels… Ces derniers sont constitués d’un réseau polymère réticulé, qui enferme le solvant par effet osmotique (figure 3). Chaque particule est un objet sphérique dont la taille peut être variée entre 10 nanomètres et 1 µm. Les pâtes de microgels, qui contiennent essentiellement de l’eau, interviennent dans de nombreuses applications telles que la formulation des encres solides sérigraphiques ou… la préparation de crèmes glacées.
Figure 3 : représentation schématique 3D d’un microgel. Le filet de polymère réticulé est gonflé par le solvant qui est ainsi retenu par effet osmotique. (Dessin : Erik Zumalt (Université du Texas à Austin). La compréhension
et la modélisation des propriétés des pâtes
constituent des enjeux scientifique et technique de premier plan qui suscitent
de nombreuses recherches fondamentales. |