Lundi 15 mars 2010

Voyage au cœur du bois

Patrick Perré
Giana Almeida

AgroParisTech/INRA

 

L’arbre : un défi pour les lois de la physique

Un ingénieur n'oserait pas construire une structure fonctionnant comme un arbre. D’abord à cause de ses mensurations moyennes : une base de un mètre de diamètre, un tronc de plus de 50 mètres de haut avec au sommet un houppier de 20 mètres de rayon ! Ensuite, parce qu’aucune pompe réalisée par l’homme ne peut être amorcée au-delà de 10 mètres de haut pour "tirer" la sève au sommet de l’arbre! Sollicitations mécanique extrêmes, colonne de sève en pression négative, voici pourtant le sort commun des arbres. Les fonctions de soutien et de conduction de la sève constituent toutes deux une prouesse, que l’on peut comprendre en analysant la structure de l’arbre, en particulier celle de la paroi de ses cellules, à l’échelle nanométrique.

Le bois est un ensemble de tissus produits par croissance secondaire, résultat du fonctionnement, vers l’intérieur, du cambium ou assise génératrice libéro-ligneuse. Cette croissance secondaire (en diamètre) permet à l'arbre, année après année, de consolider la structure mise en place par croissance primaire (en longueur). Le bois dans l’arbre a plusieurs fonctions cruciales dans la vie de la plante : conduction de la sève brute, des racines vers le houppier, soutien mécanique (armature), orientation spatiale (mobilité) et protection face aux attaques biologiques (pérennité de l’ouvrage). Les zones aux proximités du cambium assurent la conduction de la sève brute (feuillus : vaisseaux ; résineux : trachéides du bois initial, celui qui est formé au printemps) et l’accumulation/mobilisation des substances de réserve (cellules de parenchyme). Lorsque les accroissements annuels s’éloignent du cambium, le bois subit des transformations importantes, d’ordre anatomique, chimique et physique : les cellules de parenchyme passent de l’état fonctionnel (aubier) à l’état inerte de bois parfait (duramen), ce qui marque le processus de duraminisation. Ce bois ne joue plus le rôle de conduction de la sève brute, mais conserve son rôle de soutien mécanique (Figure 1). Dans un grand nombre d'espèces, les métabolites secondaires produits durant la duraminisation permettent fortement diminuer la putrescibilité du bois.

 


Figure 1. Différentes échelles d’un chêne : de l’arbre aux cernes annuels de croissance (clichés P. Perré).


La structure des parois des vaisseaux et des trachéides rend possible l’ascension de la sève brute

Les lois de la capillarité enseignent que la hauteur d’une colonne d’eau dans un tube est d’autant plus haute que le tube est étroit. Pour que la sève, essentiellement constituée d’eau, monte jusqu’au sommet d’un arbre de 100 mètres de haut, il faudrait un rayon de l’ordre de 0,1 micromètre, ce qui, en raison de la viscosité de l’eau, est bien trop faible pour permettre l’alimentation en eau et en minéraux du houppier. La loi de Poiseuille nous apprend en effet que le débit dans un tube, en régime laminaire, varie comme le diamètre à la puissance 4 ! C’est pourquoi le diamètre des éléments conducteurs des arbres est bien plus important : de 40 micromètres à 500 micromètres selon les espèces (Figure 2). La montée de la sève est donc organisée par des "gros" tubes pour limiter l'effet de la viscosité et d'un diamètre final très petit, au niveau des feuilles ou aiguilles, afin d'obtenir un effet de pompe suffisant pour tirer le liquide vers le haut. Ce système, qui a pour conséquence certaine une pression négative de la colonne de sève dès que l’arbre fait plus de 10 mètres de haut, ne peut fonctionner que grâce à la cohésion entre molécules qui existe à l’état liquide. Il ne tolère donc aucune présence de gaz, car cela conduirait à une cavitation qui interromprait aussitôt la circulation de la sève. Ce système est aussi très sensible aux embolies gazeuses. Pourtant, les arbres savent fonctionner durant des décennies, de siècles, et même des millénaires !

 


Figure 2. Détail des éléments anatomiques permettant la circulation de la sève brute chez les Gymnospermes (résineux, à gauche) et Angiospermes (ici feuillu à zone initiale poreuse, à droite).

Les parois végétales des éléments conducteurs (vaisseaux des feuillus ou système plus diffus des résineux) sont justement adaptées pour empêcher l’entrée de gaz et cela se comprend en examinant la structure de la paroi à l’échelle nanométrique.

Ces parois sont constituées par un assemblage microporeux de macromolécules. Les pores sont si petits que les parois, qui sont perméables lorsqu’elles sont baignées de liquide de part et d’autre, deviennent imperméables lorsqu’elles sont à l’interface eau-air. Pour comprendre cette propriété, on peut comparer la paroi à celle d’un sachet de thé : si on verse brusquement de l’eau sur le sachet, il emprisonne une bulle d’air qui ne peut plus sortir. Si en revanche on imbibe doucement le sachet de thé, l'air peut facilement sortir par le haut avant que la paroi soit mouillée.

Mais que se passe t-il lorsqu'une entrée massive de gaz pénètre dans le système vasculaire, par exemple lors d'une blessure de l'arbre ? L'extension de cette zone gazeuse doit absolument être limitée.
Pour cela, les résineux, par exemple, possèdent des passages particuliers entre les éléments conducteurs, appelés « ponctuations », qui font office de valve (Figure 3). Lorsque du gaz est présent d'un côté de la ponctuation, la valve se ferme sous l’effet de la pression capillaire (ce n’est pas l’air qui pousse, c’est le liquide qui tire, c’est une sorte d’aspiration) pour limiter l'extension de la zone gazeuse.
En cas de cavitation (présence de vapeur d’eau), les plantes peuvent reconstituer une colonne de sève active grâce à la pression de turgescence, d’origine osmotique, des racines.

Figure 3. Images des éléments conducteurs chez les Gymnospermes (trachéides du bois initial) et des ponctuations aréolées présentes dans leurs parois (dessus).
Aspiration des ponctuations aréolées (dessous).


La structure des parois cellulaires explique leurs propriétés mécaniques

La structuration de la paroi cellulaire, notamment avec ses cristallites de cellulose très rigides et fortement orientées, associée à la forme très allongée des cellules, explique les performances mécaniques du bois. Sait-on que la rigidité de ces cristallites de cellulose est de 134 GPa pour une masse volumique de 1500 kg/m3 ? A comparer celle de l’acier : 210 GPa, soit 1,5 fois plus, mais pour une masse volumique plus de 5 fois supérieure.

Outre ses capacités de soutien, l'arbre sait aussi changer sa forme, ce qui est moins connu mais pourtant indispensable à sa survie. Supposons un jeune arbre en montagne se retrouvant couché au printemps suite au glissement d‘une couche de neige. Comment peut-il se redresser ? En faisant ce que l'on appelle du bois de réaction. Les résineux font du bois de compression qui pousse l’arbre d’un côté et agit comme un cric, tandis que les feuillus font du bois de tension qui tire l’arbre vers le haut, à la manière d’un tire-fort. Dans les deux cas, on peut observer, à l’échelle macromoléculaire, une structure de la paroi cellulaire différente, qui explique ces propriétés (Figure 4).

 


Figure 4. Détails de la couche G présente dans les fibres du bois de tension.


Le bois : un matériau performant qui stocke du carbone

Conséquence de ses fonctions dans l'arbre, le bois présente une combinaison unique de propriétés. C’est un matériau rigide (module d’Young spécifique meilleur que l’acier), un bon isolant thermique (conductivité thermique 390 × plus faible que l’acier), avec une faible dilatation thermique (3 × inférieure à celle de l’acier en direction longitudinale) et présentant un usinage facile et peu énergivore. En raison de ces propriétés physico-mécaniques, le bois est un matériau de construction par excellence. Par sa capacité à réaliser des structures porteuses sans créer de ponts thermiques, le bois sera un matériau de choix dans les futures maisons à basse consommation d’énergie. N’oublions pas les innombrables possibilités offertes par les produits dérivés de sa deuxième transformation, comme par exemple, les panneaux (fibres, particules, contreplaqués), les lamellés collés, les parquets contrecollés, qui permettent l’utilisation des produits secondaires de l’extraction forestière.

Un grand avantage dans l’utilisation du bois est son caractère renouvelable lorsque les pratiques forestières sont adéquates. Il est aussi un atout fort pour agir sur le cycle du carbone. Grâce à la photosynthèse, les arbres captent du carbone durant leur phase d’élaboration et ce carbone reste séquestré durant toute la durée de vie des produits élaborés : utiliser un mètre cube de bois revient donc en moyenne à la séquestration d’une tonne de CO2. En fin de vie, leur valorisation pour la production d’énergie permet d’éviter le déstockage de carbone fossile.

Ce matériau, qui a depuis toujours accompagné l'évolution de l'homme, est plus que jamais un matériau d'avenir.


Repères : une cellule d’arbre : quelques millimètres de longueur, quelques dizaines de micromètres de diamètre. Diamètre d’une fibrille de cellulose : 20 nanomètres. Taille des micropores : quelques nanomètres. 1 millimètre = 1000 micromètres = 1000 000 nanomètres.
Nombre de cellules dans un arbre de taille moyenne : 2000 milliards.


Core, H.A., Côté, W.A., Day, A.C. 1979. Wood structure and identification. Syracuse Univ. Press. 2nd Edition, 182 p.

Haygreen, J.G., Bowyer, J.L. 1982. Forest products and wood science: an introduction. Ames: Lowa State University, 459p.

Perré, P. (ed.) 2007. Fundamentals of wood drying. ARBOLOR, Nancy, 360 p.

 

Patrick Perré
AgroParisTech, Nancy, France (perre@agroparistech.fr)
et
Giana Almeida
ESALQ/USP, Brasil (giana.almeida@usp.br)

Programme 2010