Lundi 16 Novembre 2009

Sons et lumière: d’intimes relations

Bernard Valeur
Alexandre Garcia

Conservatoire National des Arts et Métiers

 

Quand on parle de lumière et de son, il vient immédiatement à l’esprit la question de notre perception visuelle et sonore du monde qui nous entoure. Si l’oeil et l’oreille ont une sensibilité extraordinaires, ils présentent toutefois des différences importantes quant à leur aptitude à discriminer les fréquences et localiser dans l’espace les sources lumineuses ou sonores. Mais notre perception du monde ne se limite évidemment pas à la vue et à l’ouïe : elle est multisensorielle, et il est prouvé que nos différents sens interagissent fortement et travaillent en coopération. Le cerveau ne possède pas de centre (même primaire) qui ne soit pas multisensoriel. D’ailleurs, la mémorisation des informations est beaucoup plus efficace quand sons et images sont associés, et l’association image-musique décuple le pouvoir émotionnel d’une image. Le visuel influe sur l’ouïe et réciproquement.

Quelle est la nature de la lumière ? Et celle du son ? Quelles sont leurs analogies et leurs différences? Si la nature vibratoire du son fut comprise dès l’Antiquité, il fallut attendre la fin du XVIIe siècle pour que soit évoquée par Huygens un caractère semblable de la lumière. Mais cette idée était loin de faire l’unanimité : le grand Newton en particulier s’y opposait. Au XIXe siècle, les travaux d’Young, Fresnel et Maxwell prouvèrent définitivement la nature ondulatoire de la lumière ; plus précisément, la lumière est une petite partie de l’ensemble des ondes électromagnétiques. L’idée très ancrée de la nécessité d’un milieu porteur pour la propagation des ondes fit postuler l’existence d’un milieu invisible : l’éther. Quelle satisfaction alors de pouvoir unifier lumière et son en tant que phénomènes vibratoires se propageant par ondes dans un milieu porteur ! Voilà un bel exemple de tentative d’unification qui s’est révélée fausse : l’éther n’existe pas car la propagation de la lumière n’exige pas un milieu porteur, ainsi que le montra Einstein en 1905.
Ainsi la lumière se propage-t-elle dans le vide, contrairement au son. La lumière franchie en effet l’espace interstellaire puisque nous voyons les étoiles, alors qu’aucun son ne nous parvient de l’espace. En outre, la vitesse de propagation de la lumière est considérablement plus élevée que celle du son (environ un million de fois plus grande dans l’air), comme en témoigne par exemple le décalage temporel, observé lors d’un orage, entre la perception d’un éclair et celle du grondement du tonnerre. Autre différence importante : les longueurs d’onde des ondes lumineuses sont beaucoup plus courtes que celles des ondes sonores (Fig. 1).


Figure 1. Longueurs d’onde et fréquences des ondes électromagnétiques et des ondes acoustiques.

Néanmoins, le caractère ondulatoire commun de la lumière et du son se manifeste de façon analogue dans les phénomènes classiques de réflexion, de réfraction, de diffraction et d’interférences. C’est pourquoi la lumière et le son – et d’une façon plus générale, les ondes électromagnétiques et les ondes acoustiques – sont à la base de nombreux outils mis en œuvre selon des principes analogues, mais avec des spécificités résultant des différences évoquées ci-dessus. En voici quelques exemples :
• le sonar employant des ondes ultrasonores pour la détection sous-marine trouve son équivalent dans le domaine des ondes électromagnétiques avec le radar bien connu (micro-ondes) et le lidar (lumière), utilisé en particulier pour détecter et analyser la pollution atmosphérique.

• l’échographie ultrasonore est courante, notamment pour la surveillance des fœtus, et l’échographie optique, développée plus récemment, offre une résolution spatiale bien supérieure, ce qui en fait un outil précieux pour visualiser des maladies de la rétine (Fig. 2).
• l’effet Doppler est mis à profit dans l’échographie ultrasonore pour visualiser la circulation sanguine. De la même façon, cet effet est exploité avec la lumière en astronomie pour déterminer la vitesse d’une étoile par rapport à la Terre. En outre, les radars Doppler sont employés en météorologie et pour le contrôle radar de la vitesse des véhicules.


Figure 2. L’écograhie met en œuvre aussi bien les ultrasons que la lumière. À gauche : cliché d’écographie ultrasonore 3D d’un fœtus de 10 semaines (Cliché J.-M Levaillant). À droite : cliché d’échographie optique 3D d’une portion de rétine révélant un trou annonciateur d’un décollement (Cliché société Carl Zeiss Meditec)

On pourrait citer bien d’autres exemples, et d’une façon générale, la transposition d’un concept ou d’une technique d’un domaine de la science à un autre est très fécond, et c’est particulièrement vrai pour l’optique et l’acoustique. Lord Rayleigh, dont les contributions à la lumière et l’acoustique sont remarquables, fut l’un de ceux qui le fit avec le plus de succès.

Mais la fertilisation croisée de l’optique et de l’acoustique ne s’arrête pas là : elle apparaît également dans l’action concertée ou couplée de la lumière et du son. Les scientifiques ne manquent pas d’imagination lorsqu’ils mettent à profit les propriétés extraordinaires de la lumière pour transmettre le son (via des fibres optiques), l’enregistrer et le reproduire (CD et DVD), et pour visualiser les vibrations à l’origine du son (interférométrie holographique et vibrométrie laser).

Par ailleurs, l’effet photoacoustique, c’est-à-dire la transformation de la lumière en son (Fig. 3) au sein de la matière donne lieu à diverses applications : détecter des gaz, tester des puces électroniques, visualiser des vaisseaux sanguins sous-cutanés, etc.


Figure 3. Transformation de la lumière en son. Principe de l’effet photoacoustique

Quant à la transformation du son en lumière, c’est-à-dire la sonoluminescence, voilà un phénomène bien intrigant qui n’apparaît que dans des situations exceptionnelles (Fig. 4). Ce phénomène d’une grande complexité continue à susciter l’intérêt des chercheurs de communautés différentes : l’objectif est de comprendre le comportement de la matière dans des conditions extrêmes.


Figure 4. Transformation du son en lumière. Un faisceau d’ultrasons de haute intensité provoque
la naissance d’un grand nombre de bulles par cavitation. L’implosion de ces bulles s’accompagne
d’une émission de lumière appelée sonoluminescence
(Cliché K.S. Suslick, Université de l’Illinois à Urbana-Champaign, Etats-Unis).

Enfin, est-il possible d’associer une couleur à un son ? En considérant les domaines respectifs de longueurs d’onde et de fréquences des ondes sonores et lumineuses que nous percevons (Fig. 1), et compte tenu des différences entre nos systèmes de perception visuelle et auditive des fréquences, il ne peut y avoir de correspondances rationnelles entre sons et couleurs. Pourtant, les tentatives n’ont pas manqué (Fig. 5), et nombreux sont les instruments inventés pour créer des couleurs à partir des sons, depuis l’invention du clavecin oculaire par le père Castel en 1740. Parmi les peintres et les musiciens qui mettent en œuvre les associations sons-couleurs, citons le compositeur Scriabine et le « peintre des sons » Charles Blanc-Gatti. Tous deux étaient affectés du syndrome d’audition colorée (forme de synesthésie) : il s’agit de phénomènes de vision colorée produits lors de la perception de sons. D’une façon plus générale, la démarche du musicien vers les couleurs et la démarche du peintre vers la musique conduisent à des créations artistiques originales et riches en symboles.


Figure 5. Association de douze couleurs aux douze notes de la gamme chromatique par A. W. Rimington en 1895.


Pour en savoir plus

B. Valeur, Sons et Lumière, Belin, 2008.

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