Lundi 22 Janvier 2007

De la plante au médicament

François Tillequin
François-Hugues Porée

Faculté de Pharmacie - Paris V

 

L'homme a, de tout temps, utilisé ou tenté d'utiliser pour se soigner les produits à sa disposition dans la nature. L'intérêt des produits naturels comme principes actifs ou sources d'inspiration pour la conception de nouveaux médicaments découle de leur rôle de médiateurs de communication chimique dans le vivant. Si les antibiotiques constituent à ce point de vue des exemples immédiats, de nombreux autres métabolites secondaires naturels se montrent dignes d'intérêt. C'est le cas notamment des molécules qui participent à la défense des végétaux contre les agressions bactériennes ou fongiques, comme les phytoalexines, ou contre les herbivores, comme les alcaloïdes, ou encore diverses substances à activité hormonale ou anti-hormonale chez les différents groupes d'animaux.
Ces derniers constituent aussi une source de composés actifs : phéromones sexuelles, phéromones d'alerte ou de trace chez les espèces sociales, produits de défense ou d'attaque, tels que les alcaloïdes des arthropodes, les saponosides des échinodermes, les stéroïdes des peaux d'amphibiens, les enzymes des venins de serpents... La nature constitue donc un gisement de molécules actives, résultant d'environ quatre milliards d'années de co-évolution au sein du vivant dont l’exploration fournit de nouvelles pistes thérapeutiques.
Très souvent, les composés naturels isolés se révèlent soit trop peu actifs pour constituer les principes actifs de médicaments efficaces, soit encore trop toxiques à dose thérapeutique. Ils servent alors de modèles dont le chimiste s’inspire librement pour synthétiser des analogues, comme le peintre et le sculpteur s'inspirent de la nature. Cette dernière approche, particulièrement fructueuse, a conduit, depuis la fin du XIXe siècle, à la découverte de nombreux médicaments majeurs.

Les temps anciens
L'utilisation de plantes médicinales par l'homme pour se soigner, dans toutes les civilisations et depuis des temps très anciens, a conduit à de nombreuses tentatives de rationalisation de leur emploi. La théorie des signatures, développée par Paracelse, médecin suisse du début du XVIe siècle, voulait qu’à chaque mal corresponde un remède naturel marqué d’un signe distinctif permettant aux hommes de la reconnaître.


Paracelse
(1493-1541)

La Pulmonaire (Pulmonaria officinalis)

Par exemple, la Pulmonaire (Pulmonaria officinalis L., Borraginaceae) aux feuilles parsemées de taches blanches comme le tissu du pulmonaire devait être souveraine contre les maladies des poumons, l’anémone hépatique (Hepatica triloba Chaix, Ranunculaceae), aux feuilles trilobées, utile au traitement des maladies du foie dont elle rappelait les lobes ou encore la sanguinaire du Canada (Sanguinaria canadensis L., Papaveraceae), au latex rouge vif, utilisée pour traiter les affections du sang.

Cette théorie conduit à utiliser, pour le traitement des douleurs rhumatismales, un certain nombre de plantes croissant spontanément dans terrains marécageux. Parmi celles-ci, les écorces de Saule blanc (Salix alba L., Salicaceae) et les sommités fleuries de Spirée ou Reine des prés (Spiraea ulmaria L., Rosaceae), utilisées en Europe, révèlent une certaine efficacité. En Amérique du Nord, l’huile essentielle de Wintergreen, obtenue par distillation de Gaultheria procumbens L. (Ericaceae), est également utilisée avec succès en frictions sur les articulations douloureuses.
Les premiers développements de la chimie organique, dans la première moitié du XIXe siècle, permettent l’isolement des principes actifs de ces drogues. À partir de la salicine, obtenue à partir de l’écorce de Saule en 1828 par le pharmacien français Leroux, le chimiste napolitain Piria prépare l’acide salicylique en 1838. L’aldéhyde salicylique est ensuite isolé de la Reine des prés par le pharmacien suisse Pagenstecher en 1831. Enfin, le salicylate de méthyle est extrait de l’essence de Wintergreen par le chimiste américain William Procter en 1843. Ces résultats montrent tout l’intérêt des dérivés salicylés pour soulager les douleurs rhumatismales, mais les faibles teneurs des différentes plantes médicinales utilisées ne permettent pas d’en généraliser l’usage.


Gaultheria procumbens

Spiraea ulmaria

Spiraea ulmaria (details)

La synthèse industrielle de l’acide salicylique par carbonatation du phénol, développée entre 1860 et 1874 par Hermann Kolbe et ses élèves, permet la mise à disposition de ce composé qui devient rapidement le médicament de référence pour le traitement des rhumatismes et des douleurs inflammatoires. Cependant, son usage reste limité en raison de sa mauvaise tolérance gastrique.
Dans cette série chimique, le progrès décisif est réalisé en 1897 par Félix Hoffman (1868-1946) qui met au point, dans les laboratoires de la firme Bayer, la synthèse de l’acide acétylsalicylique. Antérieurement préparé à plusieurs reprises en petite quantité dans divers laboratoires, le composé obtenu par Hoffman n’est pas brevetable. La compagnie Bayer ne peut donc protéger la découverte qu’en déposant un nom de marque, aspirine, pour acetylspirsäure, dérivé acétylé de l’acide extrait de la Spirée.
En 1919, le Traité de Versailles fait passer le vocable aspirine dans le domaine public et permet aux firmes chimiques des Alliés de concurrencer le monopole de fait de Bayer. Ainsi naîtra, par exemple, l’Aspirine Usines du Rhône, développée à partir de 1915, pour pallier le manque d’aspirine allemande en France pendant la Grande Guerre.

Le quinquina
Historiquement, les plantes ont joué un rôle déterminant dans la lutte contre le paludisme. Ce sont en effet les quinquinas, arbres d'origine sud-américaine dont les écorces ont été rapportées en Europe par les jésuites suite à la conquête espagnole, qui, dès le XVIIe siècle, ont constitué le premier traitement efficace de la maladie.
Leur principe actif, la quinine, isolée en 1820 par deux pharmaciens français, Pelletier et Caventou, reste pratiquement seule efficace à l'heure actuelle en cas d'accès sévère de paludisme. En effet, la plupart des souches de Plasmodium, parasites responsables de cette affection, sont devenues résistantes aux antipaludiques de synthèse, développés sur le modèle de la quinine entre 1930 et 1970.


Saule blanc (Salix alba)


Reine des prés
(Spiraea ulmaria)

 


Quinquina

C'est pourquoi la recherche de nouveaux traitements est actuellement une priorité de la santé publique, le paludisme touchant environ trois cents millions de personnes dans le monde et étant responsable de deux millions de décès annuels.
Une plante chinoise, Artemisia annua ou qing-hao, utilisée localement comme fébrifuge et antimalarique depuis des temps très anciens, a permis en 1972 à des chercheurs de l'université de Shanghai d'isoler puis d'établir la structure d'une nouvelle substance active, l'artémisinine ou qing-hao su. Ce produit, sélectivement toxique pour les Plasmodium, s'est révèlé assez difficile à employer en clinique en raison de sa faible solubilité aussi bien dans l'eau que dans les huiles. Par contre, il donne facilement naissance, par des transformations chimiques simples, à divers analogues d'emploi aisé et sûr, comme l'artéméther, l'artééther ou l'artésunate. L'artémisinine et ses dérivés n'ont pas, à ce jour, induit de résistance notable chez les Plasmodium. Ils sont donc largement employés pour traiter le paludisme, principalement dans le Sud-est asiatique et en Afrique, la plante d'origine faisant maintenant l'objet d'importantes cultures, principalement en Chine et au Vietnam.


La Coca
Un autre exemple de plante médicinale ayant donné indirectement naissance à une classe thérapeutique majeure est celui de la Coca. Le cocaier, Erythoxylum coca Lam. (Erythroxylaceae), est un arbuste sud-américain dont les feuilles sont traditionnellement mâchées comme stimulant par les populations andines. Son principe actif majeur est la cocaïne, alcaloïde isolé par Neumann en 1859. C’est vers 1885 que l’étude de ses propriétés pharmacologiques révèle son intérêt en tant qu’anesthésique local. L’usage de la cocaïne se généralise alors rapidement en oto-rhino-laryngologie et en injections hypodermiques pour l’anesthésie chirurgicale locale. Cependant, ses propriétés psychotropes non désirées constituent une limite à son emploi. Les chimistes cherchent donc à mettre au point, en se basant sur le modèle de la molécule naturelle et en la simplifiant, des dérivés synthétiques conservant les propriétés anesthésiques locales mais dénuées d’activités sur le psychisme.


Erythroxylum_coca

C’est au pharmacien français Ernest Fourneau (1872-1949) que revient le mérite de la conception et de la synthèse en 1903 du premier anesthésique local non psychotrope, la stovaïne, qui sera commercialisée par Poulenc Frères dès 1904. La voie était ouverte pour le développement des anesthésiques locaux et un second dérivé, la procaïne (novocaïne®), préparée par Alfred Einhorn en 1905, connaît également un succès commercial immédiat.

La coca
Erythroxylum_coca

Les curares
D’autres produits naturels, les curares sont des poisons de chasse utilisés par les Indiens de l’Amérique du Sud pour enduire les pointes de fléchettes légères destinées à être propulsées à l’aide d’une sarbacane. Leur origine botanique est demeurée très longtemps inconnue. En conséquence, les échantillons rapportés en Europe furent tout d’abord classés en fonction des récipients dans lesquels ils étaient conservés :
- curares en tubes, coulés dans des entre-nœuds de bambou, provenant du Nord du Brésil, du Pérou et de la Guyane,
- curares en calebasses, coulés dans des fruits de diverses Bignoniaceae (Crescentia L. sp.) du Vénézuéla et de Colombie,
- curares en pots, coulés dans des pots d’argile, spécifiques du haut Orénoque et du haut Amazone.

Originaires de régions peu accessibles aux voyageurs, ces produits resteront longtemps mystérieux. Il faudra en effet attendre les expéditions scientifiques en Amérique latine de La Condamine puis de Humboldt et Bompland pour disposer d’échantillons d’origines géographiques parfaitement déterminées. Claude Bernard étudie le premier les effets pharmacologiques des curares qui bloquent la conduction de l’influx nerveux au niveau de la plaque motrice, interface physiologique entre le nerf et le muscle.
L’étude chimique des curares n’est abordée que beaucoup plus tard. C’est en effet le chimiste britannique King qui isole, en 1935, le premier alcaloïde actif à partir de ce type de préparation, la tubocurarine, extraite d’un curare en tube d’origine botanique inconnue. L’intérêt de ces composés en anesthésiologie, pour obtenir une bonne résolution musculaire au cours d’interventions chirurgicales, stimule la recherche de l’origine botanique de ces composés.
Des équipes mixtes, associant botanistes et ethnologues, sillonnent les régions d’origine entre 1940 et 1950. On découvre alors que les curares en tubes et en pots sont essentiellement issus de Menispermaceae, principalement de Chondrodendron tomentosum Ruiz et Pavon qui devient très vite la source industrielle de tubocurarine.
Les curares en calebasses, de composition chimique très différente, sont issus de Loganiaceae, notamment de Strychnos toxifera Schomb. ex Benth. Ici encore, la connaissance de la structure des principes actifs stimule l’imagination des chimistes. Le premier curarisant de synthèse utlisable en thérapeutique, conçu sur le modèle des composés naturels, la gallamine (flaxédil®), est obtenu par Bovet et Fourneau en 1947.

Les anticancéreux
Les différentes formes de cancer représentent un fléau majeur pour l'humanité et, ici aussi, les principes actifs issus des plantes supérieures ont joué et jouent toujours un rôle primordial dans les progrès de la chimiothérapie. L'un des premiers succès dans ce domaine résulte de l'étude de la pervenche tropicale,Catharanthus roseus. Cette plante jouit à Madagascar, son pays d'origine, d'une réputation antidiabétique. C'est en voulant vérifier si cet emploi traditionnel était fondé qu'en 1957, des chercheurs canadiens de l'université d'Ontario, Noble et Beer, injectèrent à des souris un extrait des parties aériennes de cette plante. Ils n'observèrent aucun abaissement du taux sanguin de glucose, qui aurait caractérisé une action contre le diabète, mais mirent en évidence une chute importante du nombre de globules blancs des animaux traités.


Catharanthus roseus

Catharanthus roseus

Cette observation les conduisit à envisager une possibilité d'emploi des principes actifs de la plante pour traiter les leucémies, maladies tumorales au cours desquelles le nombre de globules blancs s'élève de manière anormale. L'étude chimique méticuleuse de la pervenche tropicale de 1957 à 1965 permit ensuite à Gordon Svoboda, chercheur aux laboratoires Elli-Lilly aux Etats-Unis, et à son équipe d'isoler puis de déterminer la structure des deux molécules complexes responsables de l'activité antileucémique, la vinblastine et la vincristine. Les études pharmacologiques puis cliniques qui suivirent furent un succès, mais l'obtention de ces produits en quantité suffisante pour le traitement des malades posait un problème industriel et financier difficile, lié à la très faible teneur en composés actifs des feuilles de la pervenche de Madagascar, environ vingt grammes de vinblastine et deux grammes de vincristine par tonne de matériel végétal sec.


Il revient à Pierre Potier et à son équipe de l'Institut de Chimie des Substances Naturelles du C.N.R.S. à Gif-sur-Yvette le mérite d'avoir réalisé, en 1976, la synthèse partielle de ces produits à partir de la catharanthine et de la vindoline, deux autres constituants présents dans la plante en fortes proportions, de l'ordre d’un pour cent. La même équipe obtint en 1979, toujours par modification chimique des produits naturels isolés de Catharanthus roseus, un nouveau produit, la vinorelbine, qui présente moins d'effets secondaires que les composés précédents et possède un spectre d'activité plus large, incluant de nombreux types de tumeurs solides. De ce fait, la vinorelbine est à actuellement l'un des médicaments les plus utilisés en chimiothérapie anticancéreuse dans le monde. Ce succès a lui-même stimulé de nouveaux travaux et un dérivé fluoré de la vinorelbine, la vinflunine, préparée par un groupe de chercheurs de la faculté des sciences de Poitiers dirigé par Jean-Claude Jacquesy, semble, au vu des études cliniques en cours, encore plus prometteur que les produits précédents. Il reste que si la pervenche tropicale n'avait pas attiré l'attention des scientifiques, il n'aurait pas été possible aux chimistes d'imaginer et de synthétiser des structures aussi complexes que celles de la vinblastine, de la vincristine, de la vinorelbine ou de la vinflunine.

 

La cortisone
Au début des années 1950, un important programme de recherches systématiques, portant sur plusieurs milliers de végétaux, est mis en place aux Etats-Unis, sous la direction de Monroe Wall, afin de découvrir des précurseurs naturels de la cortisone dont la synthèse industrielle constituait un défi pour les chimistes. Bon nombre d'extraits préparés à cette époque sont conservés puis réutilisés, au début de années 1960, lors d'une campagne de recherche de composés anticancéreux. Un extrait, obtenu à partir des écorces et du bois d'un arbre originaire du sud de la Chine et planté dans quelques jardins botaniques californiens, Camptotheca acuminata, montre alors une remarquable activité contre diverses tumeurs chez les rongeurs. Wall réussit à se procurer en 1963 un échantillon de matière première suffisant pour en isoler, en 1966, au terme d'un long processus de séparation, le principe actif qu'il nomme camptothécine. Ce produit fait l'objet, en 1972, d'essais cliniques qui confirment son activité mais révèlent une toxicité chez l'homme interdisant toute utilisation thérapeutique ultérieure. De plus, le mécanisme d'action de la camptothécine n’est pas établi à cette époque, ce qui rend difficile la recherche de composés apparentés susceptibles d'une application pratique. En 1985, ce mécanisme d'action est enfin mis en évidence.


Camptotheca acuminata

Plusieurs groupes de recherche s'intéressent alors de nouveau au problème sur le plan chimique. Deux analogues synthétiques de la camptothécine, l'irinotécan développé au Japon par la firme Daiichi et le topotécan développé aux Etats-Unis par les laboratoires Smith Kline Beecham, montrent une bonne activité sur les tumeurs solides humaines, associée à une toxicité réduite par rapport au produit naturel. Ces deux produits sont préparés par modification chimique de l’alcaloïde naturel, peu abondant chez Camptotheca acuminata. Une autre source d’extraction est alors recherchée et c’est une Icacinaceae asiatique, Nothapodytes foetida (Wight) Sleumer qui fournit aujourd’hui la majorité de la matière première industrielle. À la fin des années 1990, l'irinotécan et le topotécan sont introduits en thérapeutique pour le traitement des cancers du côlon, de l'ovaire et du sein.

L'if du Pacifique

C'est au cours d'une campagne de recherche systématique de plantes à activité anticancéreuse, conduite entre 1962 et 1965, que le National Cancer Institute américain (N.C.I.) mit en évidence l'activité antitumorale d'extraits d'écorces de l'if du Pacifique, Taxus brevifolia, une espèce répartie dans les montagnes côtières de l'ouest de l'Amérique du Nord, de la Californie à l'Alaska. Les ifs constituent un ensemble d'une huitaine d'espèces d'arbres, voisins des conifères, originaires de l'hémisphère nord et connus depuis la plus haute Antiquité pour leur toxicité redoutable. L'étude chimique des écorces du Taxus brevifolia fut confiée par le N.C.I. en 1964 au groupe de Monroe Wall qui en isola le principe actif, le taxol ou paclitaxel, en 1967.


Taxus brevifolia

Taxus baccata

La structure de ce composé fut déterminée par le même groupe en 1971 et son mécanisme d'action élucidé par la biologiste Susan Horwitz en 1979. Les essais cliniques qui suivirent montrèrent l'intérêt thérapeutique du paclitaxel mais furent très vite entravés par un problème crucial d'approvisionnement en principe actif. Le paclitaxel est en effet une molécule très complexe dont la synthèse totale ne peut être envisagée pour une production à l'échelle industrielle. Ce produit n'est par ailleurs présent qu'en très faible quantité dans les écorces de l'if du Pacifique, l'obtention d'un kilogramme de paclitaxel nécessitant de traiter sept à dix tonnes de ce matériel végétal. Or, la récolte des écorces entraîne la mort de l'arbre dont la croissance est particulièrement lente, un arbre centenaire ne fournissant qu'environ trois kilogrammes d'écorces. Il n'était donc pas possible d'envisager la production de la molécule à des fins thérapeutiques sans faire disparaître l'espèce.
C'est une fois de plus l'équipe de l'Institut de Chimie des Substances Naturelles du C.N.R.S. à Gif-sur-Yvette, dirigée par Pierre Potier et Françoise Guéritte, qui permit de résoudre cette difficulté majeure.

Ce groupe montra que les aiguilles de l'if d'Europe, Taxus baccata, source renouvelable, contenaient un composé de la même série chimique, nommé désacétylbaccatine et qu'il était facile de convertir chimiquement ce produit en paclitaxel. Les chercheurs du C.N.R.S. préparèrent simultanément un composé voisin, le taxotère ou docétaxel, qui montra sur les premiers tests une activité encore plus intéressante que celle du taxol. Ces travaux permirent l'évaluation clinique du taxol, qui débuta aux Etats Unis en 1988, puis celle du taxotère en France, à partir de 1991. Les deux produits sont aujourd'hui commercialisés depuis plusieurs années et permettent de traiter certaines formes de cancers du sein et de l'ovaire.


Taxus baccata

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Ces quelques exemples montrent l'apport irremplaçable des produits naturels comme modèles pour la recherche de nouvelles molécules d'intérêt thérapeutique. Ils ne doivent cependant pas masquer les difficultés inhérentes à ce type d'approche. La principale d'entre-elles réside dans le choix des échantillons à étudier. Á partir d'une matière première naturelle donnée, les essais biologiques pourront en effet être réalisés, soit sur un extrait brut, soit sur des extraits purifiés, soit encore sur des produits chimiquement définis isolés à l'état pur. Si la dernière solution peut apparaître la plus séduisante d'un point de vue pharmacologique, elle reste peu employée compte tenu de son prix de revient. Beaucoup d'équipes lui préfèrent le fractionnement bioguidé des extraits actifs. Dans tous les cas, l'intérêt majeur des substances naturelles résulte de l'extrême diversité du vivant et du rôle de communication joué par de nombreux métabolites secondaires.

Un point mérite d'être souligné, celui de la longueur du processus qui, de la plante aux essais cliniques, permet l'accès à un nouveau médicament. La persévérance des chercheurs est bien souvent l'une des clés du succès, clé de plus en plus mise à mal par des projets à court terme, dépassant rarement quelques années tant dans le secteur privé que dans le secteur public, alors que les études aboutissant à la mise au point d'un nouveau principe actif dépassent, en particulier dans certains domaines comme celui du cancer, bien souvent vingt ans. Un problème supplémentaire est alors celui de la durée de protection que fournit le brevet (vingt ans en Europe) et du risque que fait peser sur la recherche le développement inconsidéré des médicaments génériques.

Programme 2007